Haïkus tirés de la nature

La plume

Plume de héron
Au jardin des écrivants
Blanche comme page

Feuilles en émoi
Dans un grand envol d’idées
Poèmes encrés

 
L’écorce

Creuse et nue, la mue,
L’épiderme du vieil arbre
Gravé de veinules

Le bois motivant
Juste avant la mise à feu
Flamboie dans les têtes

Entre bois et rivière

La France lui manquait. Augustin vivait au Canada depuis déjà plusieurs décennies, Il bûcheronnait, en solitaire, s’étant construit une cabane au milieu des bois. Il allait rarement à la ville et voyait peu de monde, quelques fermiers lointains auxquels il livrait des chargements de bois. Quelques commerçants ambulants. Des indiens, chasseurs solitaires qu’il ne croisait qu’à l’occasion et peu sociables pour le reste. Les femmes ne lui manquaient pas, il n’y pensait guère, n’en voyant presque jamais, en revanche il avait la nostalgie de son pays natal, le Jura, et de sa famille qu’il avait laissée depuis tant d’années, parti à vingt ans, pour le nouveau monde avec un ami, sur un coup de tête, afin d’échapper à la conscription et à la guerre. Il pensait qu’elle ne durerait pas, elle avait duré cinq ans et en 1918, il avait pris ses habitudes, s’était enfoncé dans la vie solitaire. Son ami était mort dans un naufrage sur le Saint Laurent. Lui-même était devenu un homme des bois, sans autre horizon que le fleuve, par lequel, il transportait chaque saison avant l’hivernage, une part de son bois coupé.

Précisément, il s’apprêtait cette fois-là, à monter sur son radeau des troncs flottant, qu’il conduirait à la ville, quand il aperçut soudain non loin de la rive, comme une forme étrange. Une écorce de la taille d’un arbre mais évidée comme si le tronc lui-même eut disparu…Il ne l’avait pas encore remarqué et s’en approcha…En effet sous un autre angle on pouvait penser à un arbre normal, mais de près, la forme était manifestement creuse, et en écartant la fente large on pouvait voir dans le creux du bois, on pouvait même pénétrer son intérieur.  Augustin sans savoir pourquoi se glissa dans le tronc mystérieux, non sans difficulté, car c’était un homme costaud et bien bâti et l’arbre dont il élargit la fente à la force de ses muscles semblait s’ajuster à sa silhouette avec bien peu de marge.  Il entra donc sous l’écorce du grand sapin, et eut tout de suite, une étrange impression. Il lui sembla que l’arbre se soit comme refermé autour de lui. Il n’était pas inquiet et s’amusait même de la situation, il voyait le fleuve et son radeau de troncs, à quelques mètres de lui. Me voilà dans la peau d’un arbre se dit-il en riant. Il ne rit pas longtemps.

L’ouverture sembla se refermer davantage sur lui, immobilisant ses bras, oppressant sa poitrine…Il vit encore le fleuve et le radeau, imagina sa cabane si proche, songea à son pays d’enfance, si loin, et bientôt, il ne vit plus rien, s’enfonçant dans l’ombre du bois.

À la pêche aux souvenirs, exode modeste du temps, jusqu’à la sortie. Exit.

Ma grand-mère, la seule que j’ai connue, n’était que ma demi-grand-mère, et même peut-être pas ma grand-mère du tout, puisque seconde épouse de mon grand-père, décédé lui-même bien avant ma naissance, en tous les cas elle avait élevée ma mère qui l’appelait sa seconde maman, et c’était notre Mémé à ma sœur et à moi. Je l’aimais beaucoup. Elle est partie trop tôt alors que j’avais vingt ans, et bien peu encore d’intelligence des choses et de la vie. Je me souviens que l’on avais mis le corps sur son lit dans la chambre de la maison de Molay, où ma mère était née, et que nous avions fait le repas familial d’enterrement, selon la tradition, dans le salon attenant à cette chambre, la porte était encore entrouverte, et elle était encore avec nous, nous entendant rire et plaisanter car dans mon souvenir, celui de mes vingt ans, nous n’étions pas tristes, mais heureux de nous retrouver. Ce fut la première fois que je voyais une personne décédée…Cela m’avait frappé, mais je pense que j’avais un peu de peine à y croire et à comprendre de quoi il s’agissait, elle était comme endormie tandis que nous faisions ce repas de fête, elle était encore avec nous. J’étais à cette époque très amoureux de ma cousine, la belle Annie, fille de Paul, le plus jeune des six enfants du grand père, né du « second lit » comme on disait alors. Les deux garçons, Pierre et Paul, avait été des cadeaux tardifs de la vie pour Georges Lavrut, qui au retour de la guerre de 14 avait eu successivement quatre filles, ma mère, Blanche en deuxième. Je me souviens donc qu’Annie, me donna ce jour-là quelque chose, ( un biscuit, un verre ?) avec un regard surtout qui me réconforta, et fit de ce jour pourtant de tristesse, une heureuse journée de ma vie.  Elle avait à peine quinze ans, je pense, à cette époque.

Je ne me souviens pas du lendemain. Etions-nous mes parents et moi, revenus au Perreux, le jour même ?… Je ne pris pas vraiment conscience du vide que cette disparition causait. Je voyais pourtant la tristesse de ma mère… Mais je garde de cette période comme un blanc qui neutralise les souvenirs. J’étais alors à la Fac de Créteil, je commençais mes études de Lettres. J’étais amoureux de plusieurs femmes et jeunes filles, mais encore puceau s’il faut tout dire. Ma rencontre avec mon premier amour effectif qui allait m’apprendre la chair et son usage fut pour moi comme une heureuse surprise qui m’advint quelques mois plus tard. Je pouvais enfin vivre dans le réel des aventures jusque-là exclusivement livresque (toutes sortes de livres).  Avec Claude, de onze ans plus âgée que moi et dotée d’une solide expérience de la vie, se séparant de son ami et dotée déjà de quelques amants, j’appris tout ce qu’un jeune homme doit savoir. Elle était professeure de Français, c’était également une macrobiote convaincue comme on disait alors, engagée aussi dans toutes les aventures de l’époque post soixante-huit, en particulier le freudo-marxisme de Wilhelm Reich, et elle me fit découvrir son grand livre « La Fonction de l’orgasme », en théorie et en pratique. Elle me fit aussi avaler des vins et des pains biologiques, et même un gâteau au haschich, mais dont je ne pris que quelques miettes, très prudent à cet égard. En tous les cas, je lui dois beaucoup de découvertes. Ce fut ma Madame de Warens, et elle demeura longtemps celle que j’appelais « Ma grande amie ».  Je ne l’ai jamais oubliée. Notre relation résista au temps, mais s’estompa, s’espaça…Je sais qu’elle vit encore à Rouen, au pied du grand fleuve, qui vient de loin et se jette bien au-delà, dans le grand océan où toutes les eaux se mêlent et s’effacent.

Pêche miraculeuse

Quand je l’ai rencontrée, c’était encore une petite fille. Nous passions à cette époque nos vacances en alternance à la mer et à la campagne. Tantôt dans le Jura du côté de ma mère, tantôt en Normandie, où mon père avait encore quelque famille, dont ce cousin et sa femme, installés du côté de Ducey, près du Mont Saint Michel avec leur fille Catherine, qui avait presque mon âge, un peu plus jeune peut-être. Nous allions souvent à la plage ensemble, et je me souviens que nous récoltions elle et moi des coquillages, les comparant, les amassant, admirant leurs volutes nacrées. Continuer la lecture

L’écriture et la vie

L’écrit me semble nécessaire,
Comme lire, c’est respiration,
À l’inspire on reçoit les textes,
À l’expire on en donne aux autres ;

Ce me fut transmis par le sang,
Je n’ai pas coupé le cordon
Qui de ma mère était chanson,
J’ai bu le lait de ses poèmes

J’ai reçu ses bonnes paroles :
Quand il fallait se coucher tôt,
Le lendemain au déjeuner,
Elle me racontait le film,

Défilant sur nappe bleutée,
De la veille en télévision.
Je fus élevé dans les contes
Et les histoires, les poèmes,

Je les relisais avec elle,
Et puis quand vinrent les études
Qu’elle partagea avec moi,
Agrégation et Doctorat,

Lisant les livres du programme,
Analyses et commentaires,
Elle progressa dans les formes
Et parla couramment

L’Alexandrin Classique,
Multipliant les prix,
Les banquets et les coupes,
Les éditions de livres

Et les compositeurs.
Elle m’éduqua dans l’écrit,
Aujourd’hui c’est moi qui la lis
Et l’évoque dans mes quatrains.

Pêche miraculeuse

Ali Ben Saïd à force de persévérance, de diplomatie, de coups bas et d’absence de scrupules était devenu Directeur Général de la Compagnie de l’Eau Bleue. C’est lui qui devait mettre en place le gigantesque chantier du barrage d’Assouan, le futur barrage Nasser. Les oppositions à ce projet étaient fortes. Celle des fellahs craignant à juste titre que le limon du fleuve ne fertilise plus leurs champs. Fixer les fonds sableux jusqu’alors toujours en mouvement n’aurait-il pas des conséquences dramatiques ? Et aussi l’opposition des traditionnalistes qui s’indignaient : « Comment pouvez domestiquer le Nil, notre fleuve sacré ? Comment pouvez-vous au nom du progrès, imposer à la nature un nouvel ordre que vous ne maîtrisez pas ? » Continuer la lecture

Sur mon bras, a valsé.

C’était à Masclaux en juillet dernier, lors d’une réunion de poètes. Après les mots, la musique. La belle duchesse aux yeux couleur de nuit a valsé à mon bras. Notre galop sautillant nous entraîna dans le cercle de la vaste salle. L’air qui passait par les fenêtres sans vitres ravivait notre force et nous scandions le rythme, emporté par ce sport entraînant. Bientôt, trop échauffés, nous ressentîmes tous deux l’appel à nager. Un bain ! Il nous fallait un bain ! Elle me prit par la main et tels des personnages romanesques nous franchîmes la barre qui fermait le clos de Masclaux. Grâce à elle, je découvris dans un écrin de verdure une vasque d’eau pure, cadeau de ce petit Lignon, cher à Honoré d’Urfé.

Jeu loufoque

C’était à Barcelone.
Elle s’appelait goélette.
Elle était danseuse étoile.
Elle rêvait de s’embarquer
sur un transatlantique.
Pour danser à Broadway.
Mais elle était amoureuse
D’un dur, un vrai ouvrier
A la sauce soviétique.
Il s’appelait cure-dents
Il n’aimait que ses clés à mollette
Et les mécanismes géants
Des usines infernales.
Goélette a dansé sur la clé à mollette
Et le sextant géant.
Alors le métallo a construit
pour sa danseuse étoile
Un bateau à vapeur
Aux rouages compliqués
Elle tournait, tournait
Sur la roue à aube
Et lui, il ajustait, ajustait
la machinerie de cet engin prodigieux.

L’enfant et la mer

L’âme de l’enfant au bord des cils
Le regard émerveillé.
Elle observe la caresse des vagues sur la plage, les scintillements mêlés du sable et de l’eau.
Sa peau est dorée comme à la fin de l’été. Ses cheveux blonds sont secs et décolorés, ses lèvres fendillées par la chaleur et le vent. Elle est rassasiée d’air marin, d’air iodé, comme écœurée de l’odeur des algues.
Elle court nue et saute chaque vaguelette en criant de joie.
Le temps est arrêté. Les jours s’écoulent au rythme de la nage.
 
Mais les flots et le vent se lèvent. Ils se lèvent avec leurs armes menaçantes. Ils dévastent la plage, ils écroulent la digue. Radieuses, la mère et l’enfant admirent le spectacle triomphant de la nature déchaînée. L’enfant se poste face au vent, les bras écartés, tel un oiseau, et  teste sa force contre lui. Elle lèche les embruns qui éclaboussent son visage. Elle s’étonne du ronflement puissant des rouleaux.

Elles avaient pourtant senti venir les prémisses de la tempête : un ciel moins limpide, une mer trop calme, étale et lourde.
-Viens, rentrons, dit l’adulte. C’est la fin de l’été.
Le portable sonne, les conversations automnales reprennent.
L’enfant ferme les yeux, se bouche les oreilles, se recroqueville et enferme dans sa main ses trésors de l’été : un grain de sable, une paillette de soleil, un fragment d’algues et le murmure de la mer.