Archives de catégorie : SYLVAIN

Regroupement de tous les textes de Sylvain

C’est un souffle

Pour garder une certaine unité de composition j’ai adopté celle du Renga avec cinq vers dont les deux derniers sont détachés sans respecter la métrique du haïku (5,7,5) pour les trois premiers. J’ai placé en miroir dudit Renga deux vers de commentaires avec parfois une pointe d’humour grinçant.

Il y eut un souffle
Une déchirure de sang
Un cri d’horreur pour elle

Au passage du Mastrou de six heures
J’étais le ravi de la crèche

Rire aux anges
Avec ou sans elle


Elle hurle beaucoup
Je ne sais jamais pourquoi
Je me réfugie dans un arbre

Du plus grand épicéa du parc
La rivière aux truites gémit

Devenir sourd
Comme une mise en bière


Les remous d’un ruisseau
Les cataractes d’une cascade
Le flux et le reflux des vagues

La rivière aux truites
Glougloute avec les goujons

Les poètes mentent
Quand ils croient entendre tout cela


Les noyés les naufragés les alpinistes
Les planchistes les automobilistes les suicidés
N’hurlent que dans le coeur de ceux qui restent

Jamais dans les fleuves les mers et les crevasses
Ni sur le bitume et le béton

Les poètes affabulent
Sur le sort des gens


L’enfant de la colonie
Dont elle est responsable
Meurt sur ma bouche de sauveteur

La cascade d’Ardèche
Coule encore à gros débit

Le deuil ne se partage pas
Tout le monde le sait


On l’attache à son lit
Pour qu’elle ne se sauve pas
Elle prend des antidépresseurs

Tu ne sais pas à quoi elle pense
Sous thymorégulateurs

Aucun poète n’évoque sa douleur
Tout le monde s’en fiche d’ailleurs


On la met sous chimio
Le cerveau en compote
Le pancréas gavé de médocs

Tel un oiseau des îles en cage
Elle est muette comme une carpe

Seuls les poètes font parler les carpes
Tout le monde sait cela


Elle dort sous la terre
Sous un verset biblique
C’est du moins ce que je crois

C’est plus joli que de penser
Qu’elle est mangée par les vers

Laisse-moi désormais
Seigneur aller en Paix


J’abandonne ma besace à métaphores
Mon stylet à paréidolie
Mon crayon à lieux communs

Je pars sur les chemins
Cultiver les ampoules aux pieds

Marcher, aimer, chanter
Tel un messager d’Amour


Je croise l’âne si doux qui marche le long des houx
Le lièvre plus lent que la tortue
L’albatros vaste oiseau des mers

J’enjambe le pont Mirabeau où coule la Seine
Et le soldat avec deux trous rouges au côté droit

Poétiser, écrire des vers
Entre deux verres d’oubli


Je dévore des livres de mathématiques
Je programme des ordinateurs déments
Dans les Babel de la Défense

J’enrichis le Capital
J’appauvris la Nature

Être une machine à octets
En trois huit jour et nuit


Au pays des Droits de l’homme précarisé
Deux mille enfants dorment dans la rue
Le 115 du Samu social disjoncte

Dans les prisons les détenus marinent
Comme des sardines en boite

Sur le port de Saint-Tropez
On lave le pont des yachts au champagne


Je râle contre la canicule
La fonte des glaciers
Dans mon SUV sur l’autoroute A7

Je suis un individu ordinaire
Avec ma glacière à pique-nique bleue

Me croire libre et puissant
Dans une caisse noire en métal


J’explore le 93
Ses cités de misère
Sous perfusion de drogue et de prostitution

Les révoltés ont tagué les murs
Les trottoirs dégueulent de pauvreté

Je me drape dans le drapeau de l’humanisme
Dans mon costume rayé de cadre très moyen


Le 93, c’est facile à trouver
Juste après le périph
Et la Cité de la musique

Pas besoin de bouffer du kérosène
Pour ce type de voyage

Je ne suis pas Levi Strauss
Dans ses Tristes tropiques


Les odeurs à la Chirac
Les sans-dents de Hollande
Ceux qui n’osent pas traverser la rue de Jupiter

Le Karcher de Sarko
Pour nettoyer les écoles incendiées

C’est comme au marché provençal
De bons fruits ou des pommes blettes


Tel un pantin de Guignol
Je dirige une antenne de Surendettement
En face d’un hôtel Formule 1 à migrants

Les pauvres s’endettent dans les hypermarchés
Auprès de Cetelem et de Cofinoga

Les vautours du revolving sucent leur cervelle
Le fromage des usuriers est gouleyant


Tel Don Quichotte
Je chevauche la pampa du 93
Avec mon ami Sancho Panza

J’endosse la cause des femmes seules
Trois bambins en couches et la morve au nez

Les géniteurs sont aux abonnés absents
Pour survivre elles ont les minimas sociaux


Je m’épuise à leur tendre la main
Contre les Goliath de la finance
Et les fachos de l’administration

Ils sont plus forts que moi
Les technocrates de Bercy

Devenir un zombi dans le PC3
De Pantin à la Porte de Saint-Ouen


Je sombre comme le Titanic
Je burn-out
On me met dans un placard

Je danse sans balais
Ni ballerine coquine

Je soigne mes maux avec des mots
Et des verres de mirliton


Je rencontre des gens de Foi
Des humanistes porteurs de Lumière
Des frères et des sœurs en Espérance

Liberté Égalité Fraternité
Force Beauté deviennent mon pain quotidien

Les antiques traditions de Sagesse
Perdurent en dépit des puissances d’argent


Le cancer de l’exploitation des travailleurs
Des immigrés parqués dans des taudis
Métastase tout le corps social

La révolte gronde dans les veines
Des ouvriers des techniciens et des apprentis

Comme en 1947 c’est la Libération
On s’organise en coopératives autogérées


Des camarades luttent et chantent
Sur les pavés de l’Espérance
En brandissant des oriflammes rouge sang

Le capitalisme mortifère
Meurt de sa propre gangrène

La poésie est révolte et utopie
S’il convient de dénoncer il faut espérer


Que vivent la Vie
La Joie dans mon cœur d’homme
Libéré des chaînes de TV

Je ne suis plus un cerveau disponible
Entre deux flashs de publicité

 Je suis un homme libre sous la voie lactée
Mon germe de Vie et d’Amour ne demande qu’à pousser

 

 

Ode à la mer et aux bigorneaux

La tempête déferle au loin
Point de marin en détresse
Ni de refrain de lamantin
Les sirènes coiffent leurs tresses
Au fond des abysses c’est la liesse
Les baleines et leurs baleineaux
Se brossent les fanons sans stress
Pour avaler les bigorneaux

De la côte, elle est aux aguets
Où le vent du nord caresse
Ses cheveux fous, blonds et bouclés
Ils se mêlent sans justesse
Puis se défont au fort de l’ivresse
De dame Nature gorgée d’eau
Le ballet des vagues est promesse
Pour avaler les bigorneaux

Quand le soleil vient à sombrer
D’ici quelle infinie tristesse !
Quitter son mirador doré
Est douleur pour une princesse
Qui voit des nuages en faciès
Une paréidolie d’escargots
Des angelots, des déesses
Pour avaler des bigorneaux

ENVOI

La tempête sombre de mollesse
Au grand port gitent les bateaux
Les marins sont dans l’allégresse
Pour avaler des bigorneaux

Omansemlimsub

Omansemlimsub est un territoire de la chaîne himalayenne, perchée à 7.000 mètres d’altitude où ne vivent que des androgynes de trente ans d’âge. Ils ne vieillissent jamais. Ils ont la peau bleue et les fesses roses car ils se nourrissent en été que de mures, de myrtilles et d’une espèce de carottes endémiques aux racines profondes. La contrée est recouverte de neige six mois par an. Continuer la lecture

Chroniques beaujolaises

Je n’ai jamais su si je devais aimer le vin, me laisser dominer par lui ou le fuir comme un ennemi.

Mon grand-père maternel était représentant en vins et spiritueux. Mon oncle par alliance et son frère usinaient tous les robinets et la fonte pour les cuves à vin. Ma grand-mère maternelle tenait un commerce d’ustensiles de cuisine et de services de tables. Elle louait de la vaisselle aux vendangeuses pour les repas des vignerons et les fêtes de vendanges. Continuer la lecture

Pigments envolés

Une cloche tinte dans le matin, cristalline. Une barque trace des sillons à la surface de l’Ain. De mon promontoire, j’observe un peintre qui tague l’espérance du monde meurtri sur le mur des sons, A la surface des mondes flottants et sur les étamines d’une graminée portée par le vent.

Une simple tache rouge de pigments diffus sur une feuille d’aquarelle. De l’humide dans l’humide, précise le maître. Un univers de douceur qui se diffracte dans l’infiniment petit et l’infiniment grand du cosmos.

Une nouvelle étoile écarlate naît en pleine fusion dans une galaxie vert clair. La naissance d’un enfant déchire en hurlant la matrice originelle de la vie. Puis c’est le rien. Tout s’apaise. Tout n’est que calme et silence dans cette création éphémère.

Les pigments d’aquarelle s’évadent de la feuille et parsèment de grains de sable les coquelicots du champ de blé du poète quand il ouvre la fenêtre d’un simple souffle de vent.

La lettre

Je glisse avec mes skis de fond sur la neige du Plateau ardéchois. Je marque une trace dans la profonde congère. J’aime ce vent glacial qui me glace le visage. Des stalactites pendent des gouttières de la ferme du Mézenc.

Ma grand-mère est assise auprès du feu de cheminée. Ma mère prépare les bugnes. C’est une tradition familiale les bugnes, nappées de sucre glacé, à Mardi-gras.

Mon père n’arrive plus à ouvrir la boîte aux lettres. La serrure est prise par la glace.

Il chauffe les clefs avec une bougie. Lorsqu’il parvient à en extraire le courrier, j’espère une lettre de mon amoureuse, une fille de la ville. 

Se meubler de livres

Chronique insolite

Le libraire

L’exposition des antiquaires du Grand Palais déçoit un peu car ils sont moins beaux qu’autrefois. Après deux heures de queue, sans coupe-file, sous la bruine fine de Paris, je pénètre enfin dans le grand pavillon de verre et d’acier laissé opportunément entre Seine et Champs Elysées après l’exposition universelle. Quand je pense que cet édifice massif tient sur des pilotis en bois plus solides que du baton.

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