Archives de l’auteur : Martial MAYNADIER

Feuille fantôme

Comme frissons triés sur le volet d’un store vénitien, la brise sur le lac formait des ondes sur les ondes, accentuées par le passage d’un ragondin, ondin mystique du monde subaquatique et par la course des poules d’eau, petits poulbots des eaux dormantes. Les nymphéas répandaient leur lumière pâle d’ivoire rosé dans le reflet des peupliers, et c’est alors qu’elle est tombée. Dans une virevolte d’écureuil, le long des arbres aux branches basses, elle a tenté de s’accrocher, la haute feuille des sommets, que le vent avait renversée, que le vent avait bousculée, que le vent avait décrochée. Elle a tenté de s’accrocher aux petits rameaux tout tendus, demandant de l’aide à ses sœurs, innombrables indifférentes… C’était trop tard, elle avait glissé dans le monde des disparus, des détachés, qui sont tombés. Elle a sombré dans le lac noir… Et pour un instant a flotté. Tout petit rafiot dérisoire elle a cru qu’elle était sauvée. Et dans sa nouvelle existence elle a cherché à s’accrocher, elle a cherché à retrouver la branche qu’elle avait perdue, dans le reflet du peuplier… Elle s’est posée. Mais la brise a recommencé, le ragondin a repassé, et la course des poules d’eau a, de nouveau, tout brouillé. La petite feuille mouillée, alourdie, déstabilisée, très vite, trop vite a coulé… Encore quelques virevolte, un pas de danse et d’élégance en sa plongée, et puis le monde des poissons, des algues vertes, avant la vase. Surprise de ce velouté, la feuille a pu se reposer, tout oublier. Et puis les saisons sont passées. La famille des cygnes un matin vint tout bousculer, remuant de leurs becs, les fonds… Une barque ensuite est venue et un pêcheur en remontant quelque poisson dans l’épuisette a vu la feuille, toute sombre et percée de vides, avec la nervure apparente, comme une ossature accablée… Elle était bien fantomatique, mais vive encore elle aperçut l’ombre noire de son grand arbre, dépeuplé par l’hiver, dépourvu de toutes ses sœurs.

La vie idéale

Il faudrait des bois, des fleurs, des oiseaux,
Un ciel bleu changeant, parfois des nuages
Un bateau, de l’eau, du sable et la plage,
Le soleil, la pluie, de grands animaux.

Je voudrais des cygnes et des corbeaux
Des bassins profonds oA? les poissons nagent
Des biches, des faons, comme en les images
Un pays magique ? tout serait beau;

J’aurai des chevaux, des chats, et des chiens,
Des amis parfaits, et tout serait bien
Avec une étoile, un soleil levant,

Des livres nombreux, et de quoi écrire,
Et de quoi penser, aimer et puis rire,
Peut-être une femme avec des enfants…

Bomlumassimne

Dans ce petit royaume de l’Europe centrale du cinquième siècle, l’arrivée des huns fut une catastrophe et même un cataclysme. Dès que la rumeur annonçant Attila et ses hordes se propagea, la panique fut immense. Les hommes pensèrent tout de suite à prendre les armes et se défendre, mais en fait d’armes, ils n’avaient, surtout, que leurs houes et leurs fourches, et bien peu d’épées.

Bomlumassimne était un royaume paysan, de quelques milliers d’âmes, et la garde du roi ne comptait que bien peu de soldats, peu habiles au combat. Les femmes voulurent se cacher ou s’enfuir, mais où ?

Sur les pentes qui descendaient jusqu’au fleuve s’étageaient les oliviers au feuillage argenté et à proximité existait une grotte sous une cascade. La jeune Loutsamine s’y réfugia avec d’autres jeunes filles, son amoureux Bloustan, et d’autres hommes de la ville, ayant le même souci de sauver leur bien aimée, les y conduisirent en transportant un lot de provisions et en leur enjoignant de rester dissimulées. Eux, les hommes allaient se battre et défendre le royaume, peut-être devant leur résistance les Huns se retireraient-ils ? Si ce n’étaient pas le cas, et si tout était détruit, du moins les jeunes filles seraient préservées, et quand les hordes d’envahisseurs se retireraient, elles pourraient regagner la ville, et contribuer à ce qu’elle renaisse.

La ville fut rasée, tous les hommes furent tués. Les Huns se retirèrent, poursuivant leur marche vers l’ouest. Et les jeunes filles sortant de leur cachette, tentèrent comme le leur avait demandé  les hommes de reconstruire leur vie, et la ville.

Mais plus d’homme, pas la moindre trace d’homme. Elles devinrent un peuple d’amazone, chassant, travaillant, s’exerçant au combat, construisant une république de femme. Mais la question de la postérité se posa, car si elles laissaient s’écouler le temps, dépourvue d’enfant la ville s’éteindrait.

A quelques lieues de là, le royaume de Nissembammoule avait également subi la destruction et le ravage des Huns, seule deux jeunes servantes avaient pu en réchapper.

Elles gagnèrent Bomlumassimne dont la réputation s’établissait sur tous les alentours.

Toutes deux, enceintes, donnèrent naissance à de beaux enfants, une fille et un garçon. La vie continuerait. 

Satire sur des ambulances

L’or, même en sa laideur, donne un teint de beauté
Disait l’ami Boileau sans crainte de fauter
Car la’or, comme l’argent, embellissent les gens
Ou leur donnent du moins un lot de courtisans
Tel répugnant, gros, laid, réputé comme porc
Pendant nombre d’années, fut célébré si fort
Qu’on le fit parangon des fA?tes d’Hollywood
Alors qu’il consommait starlettes en fastfood
Un autre, politique, expert en la finance
Et se voyant déjà président de la France
Fricotait en Belgique avec des malfaisants,
Femmes on lui offrait comme graine à faisan,
Une attitude un jour très inappropriée,
Qu’il eut en Amérique avec une employée,
Un viol plus qu’avéré, lui préta des millions
De dollars, et surtout quelques humiliations
La principale étant de rentrer dans le rang,
Mais de prison, na’en parlons plus, fermons le ban.
Car pour les tout puissants de richesse pourvus
L’oubli da’immunité n’est pas du tout prévu
Les journaux les médias n’aiment que ce qui brille
La dorure souvent la pire ordure habille
Et quand elle s’écaille on détourne les yeux;
La justice ne vaut que pour les gens de peu.

Larissa

Violet, fut le rayon de tes yeux, l’oméga
De Rimbaud, toi divine, au regard si profond
Que des soleils noyés en abymes sans fond
Pailletaient de lueurs dorées en agrégats

Capables d’attirer tant d’amours renégats
Se perdant aux mystères  les jours se défont
 devient sans valeur tout ce que nous offrons,
Rien ne reste de toi que ce que tu léguas:

Ton visage et tes mots, ton sourire et ta voix,
Éternelle beauté, digne d’un haut pavois
Je te rends mon hommage en ce superbe automne

les arbres en feu s’allument sur tes pas,
A Paris, Yssingeaux, et jusqu’au Kamtchatka
Mêlant l’orange au vert, le rouge avec le jaune

Un souvenir

 

Ils ont ramassé des pierres, des grosses, des moins grosses,
des rondes, des tranchantes

 

La tache dorée prend sa forme, j’en trace le contours
en orientant la feuille pour guider gouttelette sombre
Et ce fut au séchage comme une gueule dévorante,
absorbant un soleil fondant
Et puis je vis un ours au pays des inuit.
Un ours blanc, qui est jaune sur la page banquise
rien ne pêche, hormis les mots que l’on dégèle.

Mais voilà que plus haut, je distingue un œil bleu
Qui change la silhouette,
Certes il manque la trompe et les grandes oreilles

Ils ont ramassé des pierres, des grosses, des moins grosses, des rondes des tranchantes

Oui, c’était à Thoiry, dans l’ombre des années
Je ne sais plus ni quand, ni avec quel enfant
Ou femme d’autrefois,
Mais je me souviens bien du geste de ces grands
Mammifères captifs,
Au-delà du fossé
Sans barrières, sans murs,
Ils se tenaient au bord
De leur grand promontoire
Et ramassaient des pierres
Avec leur trompe habile

des grosses, des moins grosses
Des rondes, des tranchantes

Et les jetaient vers nous,
La plupart au ravin
Quelques-unes plus loin,
Presque nous atteignant
Les visiteurs perplexes
Allaient se reculant

Spectacle triste et violent
De prisonniers se révoltant

Dehors, dedans

Une barque, une lampe,
Sur l’eau, douce lumière,
Des ombres, des reflets,
Une barque le soir,
Une lampe allumée,
Le calme d’un tableau,
Silence, bruit des feuilles.
Sur le miroir, glisser…
La clarté des collines
Celle sous l’abat-jour
D’un losange au plafond
Découpé lumineux ;

Les grandes baies vitrées
Donnent sur la vallée
Et la rivière l’Ain
OA? la barque au ponton
Se retrouve attachéeî;
Et nous huit sommes là
Muets et immobiles
Comme vaisseaux fixés
Dans la salle d’étage
Au poêle ronronnant
Avec lampe carré
Fagot de bois flottant ;

Voyageuse pourtant
L’imagination va,
Dans le courant des textes
Sur le papier noirci
L’obscur sur nous descend
Comme douce enveloppe
Et le jour déclinant
Allume les sommets
La lampe notre amie
éclaire nos esprits
Voguant en poésie.

Le goût des bonnes choses

Le linceul noir de la nuit enveloppe la résurrection du jour.

J’aime les aubes de mauve ou de violette qui peu à peu révèlent les formes familières dans le jardin, qui se dégage lentement de sa brume nocturne ; la rosée habille les herbes, l’aiguail, les feuilles, de mille parures humides, qui scintilleront bientôt sous les feux de l’aurore.
Le vent, d’un léger souffle rencontre les tiges malhabiles des fleurs qui longent le vieux mur. Quelques oiseaux s’éveillent et lancent leur premier cris. Le soleil va percer les ombres de ses éblouissants rayons. De nouveau, il régnera sur le monde, déversant la splendeur de sa lumière sur toutes chose.

Je m’éveille. Je songe au déjeuner. L’odeur du café, du pain grillé finement beurré, un jus d’orange pressé, une bonne confiture.

Quelque chose d’indéfinissable. Le bonheur des jours tranquilles est dans l’air autour de moi. Je suis seul, et personne ne m’oblige à rien. Je me laisse vivre dans la paix, sans la moindre obligation, sans un bruit perturbant. La vie chante sa chanson douce.

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Adopter un livre

Tant de livres ! Qu’il est difficile d’en choisir. J’ai la nécessité de tous et ceux qui me restent à découvrir, sont aussi importants pour moi, que j’ai lu déjà et qui attendent ma relecture. En choisir un m’est impossible. Mais qu’un livre me choisisse, cela m’est arrivé avec les écrits d’Etty Hillesum. Ce fut vraiment comme une rencontre. Une rencontre préparée et annoncée.

Ce fut Sylvie Germain qui m’en parla la première, dans un ouvrage dont j’ai oublié le titre, elle évoquait ce nom, cette figure, et ce titre à Une Vie bouleversée. Le temps passa un peu mais l’évocation ne pouvait rester sans suite et je me procurai le livre. Je lus le livre par un séjour de neige, dans le Vercors et les flocons semblaient tourner les pages avec la légèreté profonde de la mélancolie alliée à la beauté et à la vérité Les Lettres de Westerbork, suivait ce résumé des onze cahier du journal des deux dernières années de vie (1941-1943)de la jeune amsterdamoise, décédée à 28 ans.

C’est un livre que l’on n’oublie pas et qui vous en demande encore davantage. Et je l’obtins quelques années plus tard, avec la parution cette fois complète et intégrale du journal (dont manque pourtant l’un des cahiers, disparu, à jamais ?) et de l’ensemble des écrits conservés, lettres, notes et documents.
Un ensemble de mille pages bien serrées, lues et relues, et puis cette décision peu à peu qui s’impose, reprendre en Poésie, chacun des cahiers, les traduire en mes mots, et les publier, faire partager, cette rencontre, ce compagnonnage, cette adoption.