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2029

Il ne pleuvait plus depuis déjà quelques quatre vingt jours quelque chose s’était détraqué dans le ciel. La grande sécheresse de 1976 dont bien peu se souvenaient en cet été 2029 semblait en passe d’apparaitre aux historiens du climat comme une fantaisie anecdotique et localisée au regard du drame qui s’annonçait. Car la chaleur et l’absence d’eau s’accentuaient à présent de jour en jour sur l’Europe occidentale.
Les records de température de la canicule 2003 étaient battus depuis déjà plusieurs semaines. La température de jour dépassait les quarante cinq degrés de Londres à Marseille en passant par Paris ou Berlin, et atteignait jusqu’à 52 dans le sud de l’Espagne, en Sicile ou en Grèce. La nuit n’apportait que peu d’apaisement et le thermomètre n’indiquait nulle part moins de trente-cinq degré. On étouffait dehors comme dedans. La mortalité cependant n’avait pas encore atteint les terribles chiffres de l’été 2003 à savoir : 70 000 morts en Europe dont 20 000 en France, en particuliers des vieillards affaiblis et suffoquant littéralement, par manque d’attentions et de soins appropriés. Toute les précautions avaient cette fois été prises. Ventilateurs et climatisations équipaient toutes les maisons de retraite, les hôpitaux et la plupart des maisons individuelles en vertu du plan Canicule adopté quelques années plus tôt, et garantissant à toute personne âgée l’accès aux équipements et à la surveillance appropriée. Toute l’Europe avait mis en place cette sorte de plan. Mais le plan France Canicule était le plus protecteur. Il est vrai qu’en 26 ans la répartition des tranches d’âge dans la population française avait considérablement évolué. Les personnes âgées en surnombre avaient en quelques sortes pris les rênes du pouvoir. Constituant une part dominante de l’électorat, elles avaient porté au pouvoir le FRONT DU PROGRES NATIONAL dirigé par Marion Maréchale, (qui avait laissé depuis longtemps aux oubliettes le nom de Le Pen, et l’héritage familial encombrant qu’il représentait). Elue présidente en 2023, et portée par la masse électorale des plus de soixante ans elle impulsait une politique résolument anti jeune et anti immigré qui confortait les avantages de tous les autres.  Les jeunes et les immigrés en effet étaient tenus pour suspects et dangereux. Les premiers très méthodiquement encadrés dans des écoles et des centres de formations, proches de l’encasernement n’en sortaient que pour les emplois auxquels on les affectait d’office en fonction des besoins ou des opportunités économiques, militaires ou sécuritaires. Les seconds regroupés en cités de transit, (CT) se voyaient octroyés des titres transitoires de séjour (TTS) et pouvaient travailler dans des usines, essentiellement de la défense nationale, sous condition d’adaptabilité et de soumission aux modes de vies et aux réglementations en vigueur. Les autres étaient expulsés. Reconduits aux frontières. Abandonnés à leur sort. Tout retour illicite, était passible de condamnation et d’enfermement en Centre de rétention provisoire, (CRP), en fait des prisons spéciales, dont on ignorait à l’extérieure le fonctionnement, et dont on ne ressortait pas.

Il faut dire que l’état de guerre entre l’Europe, et les USA d’un coté et l’Etat Islamique d’autres part, rendait les populations peu regardantes sur le respect des droits de l’homme et en particulier le sort des émigrés considérés à priori comme dangereux.

La France, forteresse assiégée avait retrouvé ses frontières et ses douanes, ses modes de vie différenciés selon les régions et traditions. Les attentats étaient rares mais terribles et des prises d’otages mal terminées avaient causé durant les dernières années plusieurs centaines de morts, mais les vrais combats avaient lieux sur les terres africaines ou depuis plus d’une décennie les victimes se comptaient par milliers presque chaque jours, une terrible saignée qui laissait une grande partie du continent ravagé, et les épidémies et famines  s’y développant, tout  ce qui s’étendait au sud de la méditerranée ressemblait à un enfer.

 

La canicule qui frappait cette année là l’Europe, et la France en particulier était présentée par les idéologues islamistes comme un châtiment divin, annonciateur de la chute finale des contempteurs de la vraie foi.

Le choc des cultures avait atteint ces derniers temps un point de non retour. Les Musulmans de France regroupés en leurs quartiers priaient dans leur mosquée, et le christianisme presque moribond dans la France des années 10 avait dans la décennie suivante connu un étonnant retour d’intérêt.

Les processions et manifestations de prière publique pour obtenir le retour de la pluie devenait en cette fin d’été 2029 un véritable phénomène de société, accentuant la rechristianisassions du pays.

Il est vrai que l’assassinat du pape François par un fanatique islamiste avait, quelques années auparavant, singulièrement frappé les esprits et mobilisé des foules imposantes. Toutes les églises et cathédrales étaient pleines chaque dimanche, et de nombreuses petites églises de campagne désaffectées avaient été ré ouvertes au culte. Par ailleurs, l’encyclique de François 2 permettant aux laïcs, aussi bien homme que femme de célébrer la messe et de donner l’eucharistie avait redonné un grand essor aux pratiques religieuses, encouragées d’ailleurs par l’état nationaliste et conservateur, qui en France comme ailleurs en Europe, assurait un pouvoir réactionnaire, et autoritaire, proche des dirigeants catholiques et du nouveau pape. Lui-même était issu du Moyen Orient, patriarche irakien yazidi, converti au catholicisme. Son élection considérée comme une provocation par les musulmans, n’avait pas peu contribué à accroitre les tensions devenues paroxystiques. Mais plus que la guerre et les conflits religieux internes, c’est le climat qui devenait en cet été 2029 le sujet majeur de préoccupation. Les américains, les européens, les chinois et les russes alliés dans la guerre contre l’islamisme avaient d’un commun accord convenu d’un moratoire dans les mesures de transition énergétiques destinées à réduire le réchauffement. La relance économique, fondée sur un réarmement conventionnel généralisé avait quasi aveuglé les populations sur les périls climatiques. Le retour du plein emploi et les hausses de salaires, allias à un contrôle drastique des médias avait redonné à l’ensemble des gouvernants une indiscutable popularité et les opposants écologistes discrédités et ridiculisés étaient présentés comme d’irresponsables professeurs tournesols accrochés à leurs lubies, et radotant des inepties rétrogrades. D’ailleurs pendant tout le début des années 20 les hivers avaient été plutôt rudes et les étés pluvieux ou d’une chaleur modérée. Mais depuis deux ans les choses avaient changé.

2027 avait été très chaud, presque sans neige durant l’hiver et avec bien peu d’eau en été. 2028 avait été l’année de la grande sécheresse, quasi comparable à celle de 1976, mais marquant beaucoup moins les esprits tant la technologie et l’organisation sociale avait permis de vider en partie les rivières au profit de l’agriculture, et la chaleur élevée mais tolérable avait été fort appréciée de tous les vacanciers.

C’était une toute autre affaire qui se développait dans cet été 2029. La chaleur du mois d’aout était telle que la végétation séchait sur pied, et cette fois ci l’inquiétude alimentaire était forte. Toutes les vignes semblaient déjà perdues. Le bétail donnait des signes inquiétant de risque sanitaire. Le niveau des rivières et des réserves d’eaux par ailleurs largement polluées avait tellement baissé par suite des prélèvements inconsidérés de l’année précédente que les experts prévoyaient une situation de crise et de grave pénurie, si aucune pluie ne venait d’ici une quinzaine de jours rafraichir les sols, les bêtes et les gens sur les territoires de plus en plus exsangues de l’Europe du nord. Les météorologues ne voyaient rien venir les anticyclones demeuraient stabilisés, et les pluies tombaient ailleurs dans le grand nord canadien, le pacifique, ou l’est de la Sibérie mais plus une goutte en Europe et assez peu en Amérique du Nord qui commençait elle aussi à entrer dans la crise.

Seule l’Amérique du sud semblait bénéficier d’une relative stabilité hygrométrique. Cette exception au désastre mondiale décida les dirigeants occidentaux à envisager un pont aquatique entre le Brésil et les Etats Unis d’une part, et l’Europe d’autre part. L’eau de l’Amazonie serait transportée par les pétroliers géants réaffectés pour ce transport se substituant au transport habituel des produits pétroliers. Cette mesure en apparence de bon sens allait avoir des conséquences incalculables. Quand elle fut prise par une poignée de bureaucrates occidentaux dans un grand hôtel de Lausanne, on pensait qu’il ne s’agissait alors que d’une mesure d’urgence et de circonstance, ne devant avoir qu’une durée limitée au plus à quelques semaines. Mais elle dura plusieurs mois, provoquant d’abord une pénurie pétrolière aux conséquences terribles. La circulation des véhicules à moteur fut d’abord réglementée, puis interdite totalement en Europe, à l’exception de celle des camions citernes qui depuis les grands ports alimentaient les villes et villages. Les immenses navires apportant l’eau par millions de tonnes et faisant la navette entre les deux rives de l’atlantique ne pouvaient cependant permettre à l’Europe de maintenir son agriculture son élevage, et d’abreuver ses populations. Des mesures de rationnement drastiques furent prises. On ne chercha pas à savoir ce qui se passait derrière les grilles des centres de rétention, mais il fut décidé de vider tous les centres de transit et de ne plus accepter l’arrivée d’un seul émigré.

Les quartiers musulmans se virent privés par ailleurs de tout ravitaillement organisé par l’Etat, servant en priorité, mais dans les faits exclusivement, les populations dites “de souche”.

Ces quartiers qui ressentaient déjà de longue date un sentiment d’exclusion, se soulevèrent sans doute également sous l’effet d’agitateurs islamistes saisissant cette opportunité.

Les transports d’eau furent attaqués et détournés, une part de l’armée déployée en Afrique fut rapatriée en France pour assumer leur sécurité et mater les rebellions. La guerre civile s’installa s’ajoutant aux guerres d’outremer.

Et la chaleur ne diminuait pas, et la pluie ne revenait pas.
Le mois de septembre fut inimaginable ment chaud. Autour de 45 degré dans le nord au dessus de 50 dans le sud de l’Europe.

Les décès commencèrent à se multiplier du fait des rationnements, du stress de la situation, des affrontements entre communautés. La vie devenant intolérable et de semaine en semaine s’aggravant, en dépit des promesses fatalistes des dirigeants affirmant que l’automne finirait par arriver, que les températures allaient baisser et la pluie revenir, les populations commencèrent à envisager des mesures d’exode massif. Les habitants des campagnes commencèrent à se regrouper autour des fleuves et des points d’eau. Les barrages furent pris d’assaut et cernés de campements. Une ruée vers la Suisse et ses lacs fut arrêtée par des barrages de route et de puissants moyens militaires mis en place par ce pays. Toutes les ressources d’eau furent d’ailleurs et dans toute l’Europe militairement sécurisée surtout à partir du moment ou les réseaux d’eau potable durent être coupés, et remplacés par des points de distribution sous contrôle de milices armées.

Une impression de fin du monde se répandit dans une Europe dévastée.

Toutes les grandes villes portuaires doublant, triplant leur population devenaient des campements géants d’attente pour d’improbables embarquements vers des pays? il pleuvait encore.

Octobre arriva sous un soleil de plomb persistant et une température moyenne de 48 degré.

François hollande se réveilla en sueur, tremblant de peur et les idées confuses; il se dit dans son demi sommeil : je dois absolument réussir cette Conférence de Paris et faire signer le protocole sur le climat. Mais au fait en quelle année sommes-nous?

   

Traversée en solitaire

Dans la plaine de Saône est le village de mes ancêtres maternels. Ils sont nés et vivent là depuis des siècles. La Saône est leur patrimoine et également leur mémoire. Elle nourrit leur prairie, elle abreuve leurs vaches laitières, elle transporte gens et marchandises, elle fait le bonheur des pécheurs, ses berges accueillent oiseaux et bêtes d’eau, les noyés disparaissent en ses eaux sombres… Ses ponts demeurent des passerelles entre deux contrées ennemies : l’Ain et la Saône-et-Loire. Je suis née de ces ventres jaunes comme se nomment les bressans. Le maïs, le blé, le colza, l’osier, le foin, le raisin, les carottes, les courges, les asperges : tout pousse généreusement sur cette terre de limon. Dans les cours de fermes, les volailles prêtes à être plumées puis vendues au marché local, se gavent de tous ces grains d’or et piaillent au chant du coq.

Ce dimanche d’août, nous persuadons nos parents et grands-parents de passer l’ après-midi au bord de l’eau, en prairie, au lieu-dit Uchizy. D’ immenses troupeaux de vaches paissent depuis toujours sur cette prairie communale, gardés par des bergers légendaires, héros saisonniers souvent assoiffés. Nous jouons au pré, un semblant de plage sablonneuse au bord de la Saône, quand je décide de tenter seule, du haut de mes quatorze ans, la traversée de la rivière. Grand-mère, grand-père, mère, père : aucun d’eux ne sait nager. L’eau leur fait peur : sa profondeur, sa couleur, ses malheurs…Nageuse débutante, adolescente affirmée, je brave mes scrupules et la crainte visible de mes ancêtres. Personne ne me retient !
Je nage en brasse, lentement, méthodiquement. Concentrée sur mes mouvements, j’essaie de ne pas être attirée par les herbes et les feuillus qui me frêles le ventre. Je ne regarde pas en dessous de moi, je vais de l’avant, assurément. Je me sens un peu sirène et un peu pionnière, native d’une famille de non nageurs. Cela me donne une force de propulsion incroyable. Je ne regarde pas non plus derrière moi. Je fais fi de mes aïeux transis, figés sur la rive droite, les yeux rivés sur la surface de l’eau. Ils se sont installés dans le silence, un silence de mort. Impuissants spectateurs, la scène leur devient insoutenable! Le courant se fait sentir au cœur de la rivière. Pas de tourbillons, mais du courant quand même. Cela m’oblige à nager en crabe, un peu déportée à chaque brasse. Je résiste. Je me recale à chaque avancée. La lumière est crue. En ligne de mire, la rive gauche accroche mon regard avec gourmandise. Je l’atteins sans en réaliser la difficulté. Inconsciente des risques encourus, je suis satisfaite. Je me sens différente sur l’autre rive. Je viens de grandir en quelques brasses, affranchie des peurs de mes proches et renforcée dans l’estime de mes capacités physiques. La traversée m’aurait-elle parue longue ou dangereuse, je ne l’avouerai pas ! Pourtant aucun de mes signes de victoire n’ étanchera les larmes silencieuses de ma grand-mère.
Rite initiatique à mon insu : sans cadre, sans protection, en solitaire. Ca laisse des traces : traces de liberté, de volonté, de bravitude, traces de solitude. La rivière a avalé mes peurs. Elle a contenu ma joie et ma plénitude d’exister par moi-même.
Depuis ce jour mémorable, je me sens digne héritière de ma famille bressane. La rivière Saône en est la mémoire. Je m’y baigne encore aujourd’hui avec mes petits-enfants, la Truchère, près de l’écluse. Les bateaux de croisière la sillonnent le jour et l’illuminent le soir tombant. Le T.G.V s’y reflète à grande vitesse. Les cygnes caressent ses flancs. Les rossignols harmonisent ses clapotis. Les génisses la regardent couler avec leurs yeux de merlan frit. De monstrueux silures alimentent la légende de ses profondeurs.
Le roman familial retiendra que tous les témoins de cette traversée en solitaire auraient vraiment eu peur pour moi, libre nageuse.

 

Naissance du chaos

Dans un souffle court, en un rien de temps, l’air se glaça, les nuages s’assombrirent, l’atmosphère changea. Un grondement. Cela commença par un grondement, un grondement féroce et sourd flanqua d’une odeur glacial.
Ce n’était pas un grondement de tonnerre, non plus un grondement sismique, mais plutôt une onde océanique, un roulement qui enflait par intermittence. Et la nuit tomba d’un coup, sans lune ni étoiles.
La cheminée céda la première et l’antenne s’envola sans effort. Puis la vibration sonore vint de l’intérieur, sourde. A travers les volets en persienne, seules quelques gouttes ruisselèrent et glissèrent le long de la façade. Elles débordèrent en pluies fines d’abord, ininterrompues. Le froid gagna, le ciel s’obscurcit, blafard. Un vent violent souffla. De l’intérieur, l’eau se fit véhémente, offensive. Elle enfla au point de jaillir ouvertement des fenêtres, en cascades torrentielles. Des vagues, des vagues…éclatèrent en lames déferlantes, des lances d’eau, un courant de marée puissant.
La maison devint eau, trombes d’eau. De cette houle se déversaient une à une, une personne, puis deux, puis plusieurs personnes, englouties au fur et à mesure par le raz de marée. Elles se cognaient les unes contre les autres, s’abattaient et disparaissaient dans le tumulte bouillonnant d’une terrible écume blanche. Les vagues tapaient le sol, rebondissant jusqu’au toit. La maison souffrait, craquait. Une bourrasque finale souleva l’édifice entièrement. Le vent était si fort que les voix ne portaient plus. Les cris s’évanouirent…Naquit ainsi le chaos.

Bill Viola

Bill Viola

Bill Viola

Bill Viola

Goutte à goutte

Goutte, une minuscule goutte d’eau je suis, allongée entre les pétales d’une rose et la toile d’une araignée d’eau. Je m’enivre du parfum de Céleste, mon hêtre. Je cherche ma voie : le matin je m’étire, à midi je danse, le soir je rebondis. Je suis eau, je suis bulle. C’est la ronde du jour. Je nourris la terre, je butine l’air, j’aspire la brume, je bois la pluie, je gonfle la rosée. Je reflète la lumière du ciel et le souffle du vent. J’ aime rester transparente, je lézarde sur les couleurs de roche, d’herbe, de mousse, de bois. Je coule au gré des courants, je chavire, j’ infiltre, je dégouline, je suis larme.
Goutte d’eau, source, source inconditionnelle de vie, cycle éternel de vie.
Un avenir? Devenir ruisselet, rivière, fleuve, cascade, océan, eau souterraine, nuage?
Goutte de pluie sur la ville. Viendrais-tu te promener avec moi, sur le toit, près de la rive argentée, nous créerons un jardin d’eau, d’herbe, de fleurs, un jardin suspendu, en spirale, aux senteurs épicées?
Goutte préhistorique, je saute dans la faille, j’ai peur, le ciel s’obscurcit. La mélodie du goutte à goutte m’entraine vers un stalactite luisant. Je m’y accroche, goûtant sa fraicheur. L’obscurité et le quasi silence de la grotte Chauvet me consacre pour l’éternité !
Deviendrai-je l’eau d’une fontaine, l’eau d’un lac, l’eau d’un marais, l’eau municipale?
Je suis perdue, je tourbillonne, je m’éparpille, je me gaspille aux robinets. Je me confonds avec les cieux. Un souffle passe. Il embaume, il frise les narines mouillées par les embruns, il tétanise les poils hérissés, il sèche la peau plissée.
Goutte cruelle, elle ne parvient pas sur tous les continents, se noie dans les océans, s’évapore au-dessus des oasis, déserte les dunes, croupit dans les marigots. Il n’est pire eau que l’eau qui dort !
La ronde du jour est la minuscule goutte, retenue entre les pétales d’une rose céleste et la toile d’une araignée d’eau engourdie.

Chouette effraie

Au bout de la pluie, il y a la mer. Et du torrent surgit la cascade, une cascade d’eau de roche, envoûtée par les orgues basaltiques. Dévoilée par son chant, son cri même, la belle chevauche les orgues, déborde sur les rochers. Un arc en ciel révé?le ses couleurs, halo de lumière aux reflets métalliques, caressé par un vent cruel.
Qui loge dans cette grotte voilée par la chute d’eau? Des vermisseaux nouveaux nés, des scarabées effarouchés, des têtards en retard, des chauves souris endormies, des araignées ébouriffées? Une chouette effraie !

Elle s’élance une nuit de pleine lune. Son cri angoissant emplit la forêt endormie. D’arbre en arbre, le rapace nocturne connait bien son territoire. Son envol brise le silence. Ira -t- il nicher sous le porche aux épis de maïs suspendus ? Ou? réussira -t- il à temps à se percher sur le clocher de l’église pour les alerter ?
Car la mer monte. Son grondement sourd est masqué par la clameur de la cascade. Cependant, le ciel est agité, les feuilles tremblent insensiblement. Nul n’y prête encore attention. Un ragondin parade au bord du fossé. Une truite égarée sursaute. Un lièvre se régale de plantain. Une vipère aspic dévore un rat des champs.
De l’épaisseur des ténèbres survient la pluie. Une forte pluie qui se met à cingler les roches en saillie. De grandes eaux en jaillissent et rebondissent. La chouette affolée bat de l’aile. Dès lors, une puissante houle tourbillonne entre les rives. Elle roule en une écrasante vague d’orage, féroce, sans limites. Franchira-t-elle la falaise ? Elle arrive à tout dévaster sur son passage : arbres, cabanes, barrières, poteaux, murets, enclos, bêtes et gens. La mer enfle à vue d’œil, son tumulte s’intensifie. Elle déferle jusqu’à la grotte ensorcelée : mystère englouti !

L’avenir de l’eau

Le cachet d’aspirine

Expérience effervescente
Le ressenti du verre,
du cachet et de l’eau
le tout film en vidéo

Le cachet se dissout dès contact avec l’eau
Des bulles se génèrent
La transparence s’agite et s’offusque
La blancheur de l’objet mobile
Se disloque
Et la matière dure
Se transforme en un air
Libéré
Avide de surface

Les chapelets vont droit comme un bombardement
En espace inversé
OA? tout est remontant
Le gaz s’enfuit rapide
S’échappant vers le haut
Il se jette hors de l’eau
Répondant à l’appel de l’air
Qui semble solidaire
Et presque s’écrier:
Libérez! Libérez!
nos camarades bulles
Emprisonnées dans l’eau!

On peut s’interroger
Sur les gaz mouvants
S’agitant dans le verre
Est-ce l’eau elle-même
Qui se va transformant
Ou la matière blanche allant disparaissant
Qui se métamorphose?

En tout cas le cachet
En décroissant
Devient croissant
Qui danse et qui s’élève
Pour flotter en surface avant de s’effacer
Dans la mousse et l’écume
A ce moment le verre
N’est plus qu’un réservoir à bulles
Qui vont se résorbant

Très vite l’eau se calme
Et le long des parois se collent mille perles
D’autres montent du fond
Et l’eau se croit champagne

Peu à peu tout s’apaise
Et vont diminuant et se ralentissant
Les remontées de l’air
Non plus des encordées
Mais des individuelles
Avec le temps l’eau devient plate
Un peu opaque
Encore quelques mouvement
Puis le néant
Avec le temps va tout s’en va

Après la vidéo
Il faudra vider l’eau.

L’eau : les peintres et les arts plastiques

Un peu d’eau sur la page

L’eau sur la page
En dilution
Et le pigment de la peinture
Apparitions
Puis le séchage
Un paysage
Une aquarelle
Un fondu de couleurs en brume
Une vapeur en un feuillage
Une rive ou le regard nage
Un monde flottant de lumière
La vague ou le rameur se perd
L’écume lancée comme neige
Des estampes ou bien des toiles
Impressionnantes comme voiles
Nous emportent dans un ailleurs
Pas loin d’ici dans la vraie vie.
Hors du temps décompté
Loin du temps marchand’
Comme en la plage d’or
Ou l’on peut s’allonger
Observer les nuages
Enlevés dans le bleu
Et se laisser rêver
Au chant de l’océan

 

Danaé dans la pluie

Il pleut sans cesse sur Brest, dit la chanson de Barbara, mais ce n’est pas une pluie d’or; une pluie d’acier, de feu, de sang. Une pluie de bombardement ou simplement de mauvais temps.

La pluie d’or fut pour Danaé. Je pense au tableau de Rembrandt. A Mais revenons au mythe antique. Acrisios roi d’Argos reçut prédiction d’un devin que son petit fils le tuerait. Il enferme alors son enfant, sa fille unique Danaé, dans une tour inaccessible.

Mais Zeus s’éprend de Danaé, et rien ne lui est impossible, il entre pour la visiter sous la forme d’une pluie d’or, et la féconde d’un enfant, un fils que l’on nomme Persée. Le roi d’Argos est dépité, mais ne veut pourtant pas tuer sa descendance.

Acrisios enferme sa fille et son petit fils en un coffre, qu’il fait jeter à la dérive, dans les flots tumultueux d’un fleuve. Tous deux bien-sûr s’en sortiront.

Persée deviendra un héros, coupant la tête de Méduse. Il délivre aussi Andromède, des griffes d’un dragon pervers. Plus tard en athlète émérite il participe à de grands jeux, et lance par erreur son javelot bien trop loin au-delà des herbes du stade pour atteindre dans les gradins le torse d’un roi visiteur. Celui d’Acrisios son grand père.

On n’échappe pas au destin.

Danaé fut peinte souvent sous la pluie d’or des plus grands maîtres, par le Corrège et par Titien, par le Tintoret et bien d’autres, mais je la préfère par Rembrandt. Ou par Klimt en un autre genre.

Pour commencer avec Rembrandt. On peut voir ce tableau de grande taille, dans le musée de l’Ermitage, en Russie, Saint Pétersbourg.

L’œuvre, commencée en 1636 eut pour modèle le corps dénudé de la femme tant aimée de l’artiste, Saskia, la bien en chair. Mais le tableau, repris en 1643, après la mort de celle-ci en change le visage au profit de celui de Geertje Dircx, alors maîtresse du peintre. Et les pièces d’or qui tombaient en pluie fine sur la chair nue, sont effacées par la lumière.

En 1985, un quinze juin, un lituanien un peu atteint, attaque au couteau, à l’acide, une grande part de la toile, était-ce l’esprit de Saskia qui revenait vandaliser ce tableau qui la trahissait?

Au bout de douze années de restauration, on réexposa le tableau. Je l’ai vu face à face, le corps irradie l’or.

La Danaé de Klimt, peinte en 1907 a forme de fétus, femme en chien de fusil, enroulée comme en œuf, enveloppée de voiles, érotisme torride à chevelure rousse ; l’or roule et coule entre les cuisses grasses, en flot tumultueux, le visage en orgasme.

L’eau symbole

Bruit de l’eau sans discontinuité. Jaillissement et vrombissement perpétuels. Du feu, a jailli l’eau. Du sombre, jaillit l’argent. Le vert et le roux des arbres au printemps adoucissent la dureté du noir et du blanc. Les réseaux des branches d’arbres, le tacheté des feuilles, toute cette masse végétale complexe s’oppose aux lignes sévères de l’eau et du basalte.

Le ciel est nuageux. Sur les versants de la montagne, le soleil se déplace par taches. Il navigue, remonte, épouse les courbes, révèle les nuances. L’homme se nourrit de cette nature volcanique ou l’abondance de l’eau et du végétal le surprend chaque jour. Son regard se pose sur une carte postale punaisée sur le mur ou est inscrite une maxime :
Au bout de la pluie, il y a la mer.

Jusqu’à présent, il n’y avait guère prêté attention, encore sous le choc des événements. Six mois auparavant, en été 1992, il avait emménagé dans cette ferme cévenole. Il fuyait Béchar, chassé par la terreur qui minait l’Algérie. Des amis français l’avaient aidé, lui avait prêté leur résidence de vacances. Aussitôt, il avait été séduit par ce territoire cévenol. Ce qui l’avait envoûté, c’était la pluie, une pluie qui certains jours ne cessait pas. Des rideaux d’eau, des flots d’eau se déversaient du ciel opaque. Le précieux liquide tombait avec régularité, constance, détermination, sur le toit, dans la cour : une vraie bénédiction. Il aimait entendre le bruit soyeux des averses, le clapotis des rigoles, le goutte à goutte des chenaux. Un apaisement venu du plus profond de son inconscient le submergeait. Il se noyait dans le sommeil. Cette pluie chassait la peur qui l’avait rongée dans sa bourgade aux confins du désert. Lui, le laïc, incapable d’hypocrisie, avait été épié, harcelé, détruit, nié car il  se dérobait à toute pratique musulmane, refusait de se soumettre aux règles collectives. Rejeté, incompris, menacé, il avait été contraint à l’isolement. Il s’était cloitré. La chaleur et la sécheresse en devenaient encore plus insupportables. Béchar était un four dés le mois d’ avril. Des nuages de sable desséchants se levaient. Toute végétation était condamnée et l’avenir était désespérant.

Et ici, l’humidité, le silence, l’absence de contrA?le social le revivifiaient. Il dormait, dormait, nourri par le chant de la pluie. Peu à peu, rassuré et régénéré, il était sorti de sa tanière. Les arbres, nourris d’eau, explosaient de verdure, les sous-bois exhalaient une odeur forte de mousse, de champignons, de feuilles en décomposition qu’il n’avait jamais respirée. Un jour, lors d’une promenade, il fut alerté par un bruit sourd, puissant. Plus il s’approchait, plus le grondement enflait, prenait de la puissance. Il était fasciné. Il s’enfonéa plus avant au coeur de la montagne sombre, hérissée de rochers noirs en forme d’orgues. Et il la vit ! Une cascade blanche prodigieuse, flot argenté et impétueux sur un écrin de basalte. L’ancien volcan avait engendré une source tumultueuse.

Songeur et bouleversé, il pensa à l’inscription sur la carte postale : Au bout de la pluie, il y a la mer.

Alors, il comprit le sens de cette phr’se énigmatique : il avait envie de suivre ce jaillissement, ce torrent, cette rivière, ce fleuve, il avait envie d’aboutir à la mer. Quitter la ligne de partage des eaux, choisir le bon versant, rejoindre la Méditerranée, le soleil, la sécheresse, sa terre, son désert.

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La mémoire de l’eau

L’eau se souvient du “temps d’avant”. Elle courait libre dans le lac d’Issarlès. Nul réseau hydraulique ne bridait son cours, nul turbine n’exploitait sa force. Elle courait libre dans la vallée du Rhône et de la Saône qu’elle inondait de ses flots boueux selon son bon vouloir.

Elle courait libre dans la vallée du Nil ou le barrage d’Assouan ne limitait pas ses crues.

Nul ne l’avait forcée à entailler des continents à Panama ou à Suez.

Elle n’était pas encore emprisonnée entre les remparts de La Rochelle, ou dans le port de containers de Singapour.

Gelée, elle n’était pas fendue, écartelée par les brise-glace d’Hurtigruten.

Neige, elle n’était pas foulée, écrasée par les dameuses d’Avoriaz.

Fougueuse, ses vagues n’étaient pas sillonnées, fendues par les surfeurs de San Diego.

Enfouie aux tréfonds de la terre, eau fossile des profondeurs des déserts d’Arabie et d’Israel, elle n’était pas au service d’agriculture futuriste.

L’eau avait gardé le souvenir de l’époque ou elle était source de vie et de mort, fantasque, imprévisible, nourricière ou terrifiante. C’est elle qui régnait sur la terre pour le pire et le meilleur. Elle pouvait vivre à son gré. Elle pouvait stagner, empuantir, infester un territoire, Etre sable mouvant, impétueuse et dévastatrice, se faire rare, assécher, détruire, noyer, contaminer, exterminer.

Dans son sein, proliféraient batraciens, bacilles, mammifères, crustacés, anguilles, monstres sous marins, sans nom, ni classification, ni étiquette. Nul ne les préservait ni ne les filmait.

Mais personne n’a la trace de ces temps immémoriaux. Seule l’eau s’en souvient.