Archives de catégorie : CLAIRE

Regroupement de tous les textes de Claire

Chouette effraie

Au bout de la pluie, il y a la mer. Et du torrent surgit la cascade, une cascade d’eau de roche, envoûtée par les orgues basaltiques. Dévoilée par son chant, son cri même, la belle chevauche les orgues, déborde sur les rochers. Un arc en ciel révé?le ses couleurs, halo de lumière aux reflets métalliques, caressé par un vent cruel.
Qui loge dans cette grotte voilée par la chute d’eau? Des vermisseaux nouveaux nés, des scarabées effarouchés, des têtards en retard, des chauves souris endormies, des araignées ébouriffées? Une chouette effraie !

Elle s’élance une nuit de pleine lune. Son cri angoissant emplit la forêt endormie. D’arbre en arbre, le rapace nocturne connait bien son territoire. Son envol brise le silence. Ira -t- il nicher sous le porche aux épis de maïs suspendus ? Ou? réussira -t- il à temps à se percher sur le clocher de l’église pour les alerter ?
Car la mer monte. Son grondement sourd est masqué par la clameur de la cascade. Cependant, le ciel est agité, les feuilles tremblent insensiblement. Nul n’y prête encore attention. Un ragondin parade au bord du fossé. Une truite égarée sursaute. Un lièvre se régale de plantain. Une vipère aspic dévore un rat des champs.
De l’épaisseur des ténèbres survient la pluie. Une forte pluie qui se met à cingler les roches en saillie. De grandes eaux en jaillissent et rebondissent. La chouette affolée bat de l’aile. Dès lors, une puissante houle tourbillonne entre les rives. Elle roule en une écrasante vague d’orage, féroce, sans limites. Franchira-t-elle la falaise ? Elle arrive à tout dévaster sur son passage : arbres, cabanes, barrières, poteaux, murets, enclos, bêtes et gens. La mer enfle à vue d’œil, son tumulte s’intensifie. Elle déferle jusqu’à la grotte ensorcelée : mystère englouti !

Verger d’Eden

Sous la colline ensoleillée, ce verger enchanté
Vibre d’une présence éternelle.
Vert galant au feuillage luisant, alliance d’ombre et de lumière.
Je souris au verger chatoyant, conquise par tant de voluptés,
Je ne puis en détacher mes yeux, conquise par tant de beautés.
Sans faire aucun signe, sans le moindre ne bruit, Continuer la lecture

Samedi

La sacro-sainte porte de l’institution Saint-Joseph se referme derrière moi. Il est 17 heures, un samedi ordinaire de Novembre 1958. Je quitte la pension. Je rentre à la maison pour passer le dimanche en famille, comme chaque samedi ou presque. Un comportement exemplaire est en effet exigé à l’internat pour obtenir la permission de sortie dominicale. Plus tard et plus d’une fois, pour impolitesse par exemple, je serai consignée à résidence le dimanche ! Continuer la lecture

Paris en haïkus

Paris en Eiffel
pampilles en rituel
théâtre en ciel

Musée Guimet (expo photos en noir et blanc)

Nébuleuse brume
sommet encapuchonné
squelette de pin

Gris blanc gris fumé
écharpe de nuages
entrelacs figés

Haïkus de Claire

Les thés verts de Chine

Bai yao yin zhen (thé blanc)
Aiguilles d’argent
fines feuilles de bourgeons blancs
pivoine éclose

Anji bai cha (thé vert)
Toniques feuilles
fraiches pousses théines
Eveil en bouche

Long jing n°1 (thé vert)
Puissante fraîcheur
feuilles plates allongées
Elégant Long jing

Long jing quing ming (thé vert)
Verte infusion
Eveille nos papilles
châtaigne grillée

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La bête d’Issarlès

A la tombée de la nuit, d’effrayantes ombres hantent les parois glacées de la caverne oû il est né. Au coucher du soleil, il a pris l’habitude de sortir au bord du lac quand le calme gagne ses rives volcaniques éclairées par la pleine lune, ce soir. Un battement d’aile inhabituel éveille sa curiosité, suivi d’un cri strident. De frayeur, il trébuche sur les racines sculptées d’un saule courbé sur les eaux mystérieuses du lac légendaire. Il s’assomme.

Les yeux perçants de la bête ont de suite vu l’enfant s’effondrer. Au milieu des eaux glacées, la vigie attentive s’immobilise. Ses pattes palmées sont plantées au plus profond du lac. Son tronc à trois tètes, recouvert d’épaisses écailles, tournoie lentement. Sa langue crochue s’allonge et se déploie jusqu’à la berge. Avec douceur, elle crochète l’enfant évanoui au sol. Et l’on peut voir planer le jeune prisonnier au-dessus des eaux sombres, suspendu, blotti comme un oiseau dans son nid, évanoui. Sans tarder, le monstre aux nageoires argentées plonge avec son précieux butin et s’enfonce dans sa grotte souterraine.

Allongé sur du lichen, l’enfant respire à peine. La bête souffle et souffle encore sur son corps. Ses coups de langue quasi maternels finissent par réveiller l’enfant tombé des nues. Un silence abyssal plane sur la grotte préhistorique. Des torches aux lueurs violettes éclairent un panorama inattendu. Les yeux de l’enfant n’ont jamais rien vu d’aussi beau ! Les parois sont tapissées de curieuses peintures rupestres. Il découvre toutes sortes d’esquisses tracées au charbon de bois brûlé: une cohorte de chevaux sauvages cavalent, un rhinocéros massif à la corne acérée charge un bison puis un sanglier, des lionnes attroupées pourchassent un chevreuil aux bois ailés. L’invité croit entendre leur galop et reconnaitre même le souffle du bison. Seraient-ce des fragments de roches qui s’effritent sous les pattes puissantes du mammouth ? Et là apparaissent des traces de mains, une nuée d’empreintes de mains, ocrées par le temps, inaltérables signatures apposées sur la roche argileuse. Un spectacle enchanteur défile devant ses yeux ébahis. Il en est captivé. Ses craintes s’apaisent. Suis-je dans un rêve? s’interroge-t-il sans quitter des yeux les fresques animées. La présence à proximité du monstre marin l’envoûte et l’immobilise. Elle ne lâche pas l’enfant des yeux : rechercherait-elle sa compagnie ? Il frissonne sur sa litière de fortune.

Mais soudain l’imprévisible bête s’agite. Elle trépigne et tourne en rond, visiblement inquiète. Un cri strident retentit. Ses pas s’accélèrent. Une fois encore, la bête délie sa langue porteuse et l’enfant est à nouveau capturé sans embarras. Il n’ose résister ni bouger tant le regard fulgurant de son ravisseur l’impressionne. Se redressant au cœur du lac, la gardienne des lieux soulève et dépose délicatement le visiteur devant son logis. Une pale lueur de jour se lève sur les roches millénaires. L’enfant restera longtemps tapi sur le sol glacé, secrètement habité par les inoubliables figures dévoilées sur les falaises de la tanière engloutie. La sentinelle du lac : qui protégerait mieux qu’elle Issarlès et la grotte aux parois singulières ?

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En écoutant R.M.Rilke

Un chant de couleurs éclaire mon cœur
Un épais médium transmet du souffle à la matière
Une trace givrée scarifie ma douleur
Carré de soi, en ombre et lumière
Cercle de soi, à l’infini.

 

S’évader

Maarcel caresse la terre, la soupèse et la démêle. Avec sa pelle out juste forge, il la retourne vigoureusement.
Cette terre – là, elle est bonne, tu vois, je crois qu’on a bien fait de s’arrêter dans ce putain de bled !
Le carré de terre est modeste, plein sud. Les salades ont bien donné, les tomates démarrent, seules les pommes de terre peinent à relever la tète.
Il s’en faudrait de peu pour que Marcel soit heureux, surtout que dans la lumière du soir, l’espace est libre pour créer.
– Je viens de chouraver quelques touffes de soucis devant la boulangerie, dit Jean à la cantonade en arrosant abondamment les patates comme s’il voulait les noyer, et mon vieux disait souvent “soucis dans le jardin évitent soucis dans la chaumière” marmonne -t- il les mains dans la terre.

La boite en fer blanc est restée posée sur un tronc d’arbre couché et ils n’en ont plus jamais parlé. Rien qu’une petite boite en fer et pourtant elle attire et repousse. De jour comme de nuit, la belle luit comme une veilleuse de phare. Elle est omniprésente dans ce jardin. Sera-t-elle ensorceleuse ? Trésor ou poison ?

Marcel brille d’envie de lui faire un sort à cette tabatière qui les suit du premier jour de leur évasion. La soupeser, la secouer, l’ouvrira puis palper, caresser ces graines volées. Mais c’est à Jean de le faire, c’était son idée à lui de cultiver ces graines de pavot transgénique ! Mais Jean depuis qu’il est là, y voit rien, y sent rien, y comprend rien, bon à rien, sauf à ramener des soucis, même dans le jardin.

Lui, Jean, quand il se pose sur le tronc de l’arbre fétiche, ça le démange, ça le titille, ça l’exaspère. Est – ce que ça ne le rendrait pas encore un peu plus fou d’y toucher à ces maudites graines ? Il avait pensé qu’elles seraient leur salut. Les sauver de quoi ? de qui ? Désormais leur rédemption, c’est ce putain de jardin, leur lupanar c’est c’te caborne en pierre, leurs alliés le soleil et la pluie sans oublier la lune qui leur embellit les nuits sans repos.

Jean et Marcel se sentent surveiller par les gens du village. Par les enfants par exemple quand ils passent à pied pour aller à l’école. Par les parents aussi quand ils prennent le car pour aller au marché le mercredi. Et surtout par le paysan d’à côté quand il emmène les bêtes au pré. Ne parlons pas des marcheurs qui en perdent leurs lacets ! Tous pire que des radars, cela ne peut que leur rappeler la ronde des surveillants à la prison !

C’est seulement à l’abri, dans la cabane, qu’ils se sentent un peu protégés, même si la porte ne ferme plus complètement. Ils ont de l’eau, un couteau, un vieux banc à latte – ils y dorment chacun leur tour – un réchaud de fortune, des allumettes, deux couvertures de cheval récupérées une nuit au manège voisin, et la Bible, chapardée au presbytère en même temps que les saintes bougies.

Au fond du jardin, Marcel s’est mis en tète de construire une arche en bois et il ferraille pour démarrer la serre. Une serre aux herbes sauvages ? Tout à coup un cri : il vient de s’entailler le pouce, une entaille bien profonde ! Le sang jaillit, s’écoule dans la terre et s’évanouit en même temps que lui? Ce qu’il croit savoir de moi ne lui apprendra rien? sont ses derniers mots, avant de se fendre le crène sur le tronc de l’arbre tabou.

Jean n’entend rien et ne se doute de rien. Il a ouvert la Bible à la page de l’exode et s’est lancé dans la lecture de cet odyssée, il en est médusé. Les saintes écritures l’emmènent dans un voyage sans limites ou il s’engouffre, sans soucis.

Octobre 2015

 

 

 

En écoutant Sylvia Petrovic en langue croate

La Terre est promise à ceux qui se hasarderont
A la regarder, à la toucher, à l’entendre, à la sentir,
A la respecter, alors
s’émouvoir sera source de beautés et d’alliances.