La sacro-sainte porte de l’institution Saint-Joseph se referme derrière moi. Il est 17 heures, un samedi ordinaire de Novembre 1958. Je quitte la pension. Je rentre à la maison pour passer le dimanche en famille, comme chaque samedi ou presque. Un comportement exemplaire est en effet exigé à l’internat pour obtenir la permission de sortie dominicale. Plus tard et plus d’une fois, pour impolitesse par exemple, je serai consignée à résidence le dimanche ! Continuer la lecture
Archives de catégorie : CLAIRE
Paris en haïkus
Paris en Eiffel
pampilles en rituel
théâtre en ciel
Musée Guimet (expo photos en noir et blanc)
Nébuleuse brume
sommet encapuchonné
squelette de pin
Gris blanc gris fumé
écharpe de nuages
entrelacs figés
Haïkus de Claire
Les thés verts de Chine
Bai yao yin zhen (thé blanc)
Aiguilles d’argent
fines feuilles de bourgeons blancs
pivoine éclose
Anji bai cha (thé vert)
Toniques feuilles
fraiches pousses théines
Eveil en bouche
Long jing n°1 (thé vert)
Puissante fraîcheur
feuilles plates allongées
Elégant Long jing
Long jing quing ming (thé vert)
Verte infusion
Eveille nos papilles
châtaigne grillée
La bête d’Issarlès
A la tombée de la nuit, d’effrayantes ombres hantent les parois glacées de la caverne oû il est né. Au coucher du soleil, il a pris l’habitude de sortir au bord du lac quand le calme gagne ses rives volcaniques éclairées par la pleine lune, ce soir. Un battement d’aile inhabituel éveille sa curiosité, suivi d’un cri strident. De frayeur, il trébuche sur les racines sculptées d’un saule courbé sur les eaux mystérieuses du lac légendaire. Il s’assomme.
Les yeux perçants de la bête ont de suite vu l’enfant s’effondrer. Au milieu des eaux glacées, la vigie attentive s’immobilise. Ses pattes palmées sont plantées au plus profond du lac. Son tronc à trois tètes, recouvert d’épaisses écailles, tournoie lentement. Sa langue crochue s’allonge et se déploie jusqu’à la berge. Avec douceur, elle crochète l’enfant évanoui au sol. Et l’on peut voir planer le jeune prisonnier au-dessus des eaux sombres, suspendu, blotti comme un oiseau dans son nid, évanoui. Sans tarder, le monstre aux nageoires argentées plonge avec son précieux butin et s’enfonce dans sa grotte souterraine.
Allongé sur du lichen, l’enfant respire à peine. La bête souffle et souffle encore sur son corps. Ses coups de langue quasi maternels finissent par réveiller l’enfant tombé des nues. Un silence abyssal plane sur la grotte préhistorique. Des torches aux lueurs violettes éclairent un panorama inattendu. Les yeux de l’enfant n’ont jamais rien vu d’aussi beau ! Les parois sont tapissées de curieuses peintures rupestres. Il découvre toutes sortes d’esquisses tracées au charbon de bois brûlé: une cohorte de chevaux sauvages cavalent, un rhinocéros massif à la corne acérée charge un bison puis un sanglier, des lionnes attroupées pourchassent un chevreuil aux bois ailés. L’invité croit entendre leur galop et reconnaitre même le souffle du bison. Seraient-ce des fragments de roches qui s’effritent sous les pattes puissantes du mammouth ? Et là apparaissent des traces de mains, une nuée d’empreintes de mains, ocrées par le temps, inaltérables signatures apposées sur la roche argileuse. Un spectacle enchanteur défile devant ses yeux ébahis. Il en est captivé. Ses craintes s’apaisent. Suis-je dans un rêve? s’interroge-t-il sans quitter des yeux les fresques animées. La présence à proximité du monstre marin l’envoûte et l’immobilise. Elle ne lâche pas l’enfant des yeux : rechercherait-elle sa compagnie ? Il frissonne sur sa litière de fortune.
Mais soudain l’imprévisible bête s’agite. Elle trépigne et tourne en rond, visiblement inquiète. Un cri strident retentit. Ses pas s’accélèrent. Une fois encore, la bête délie sa langue porteuse et l’enfant est à nouveau capturé sans embarras. Il n’ose résister ni bouger tant le regard fulgurant de son ravisseur l’impressionne. Se redressant au cœur du lac, la gardienne des lieux soulève et dépose délicatement le visiteur devant son logis. Une pale lueur de jour se lève sur les roches millénaires. L’enfant restera longtemps tapi sur le sol glacé, secrètement habité par les inoubliables figures dévoilées sur les falaises de la tanière engloutie. La sentinelle du lac : qui protégerait mieux qu’elle Issarlès et la grotte aux parois singulières ?
En écoutant un poème dans la langue Inoue
Le sentier de feuilles et de bois d’automne
Trace un chemin de vie
Laisses tes pas se gorger des empreintes de la rivière
Portes ton esprit près de la lumière irisée du ciel Continuer la lecture
En écoutant R.M.Rilke
Un chant de couleurs éclaire mon cœur
Un épais médium transmet du souffle à la matière
Une trace givrée scarifie ma douleur
Carré de soi, en ombre et lumière
Cercle de soi, à l’infini.
S’évader
Maarcel caresse la terre, la soupèse et la démêle. Avec sa pelle out juste forge, il la retourne vigoureusement.
Cette terre – là, elle est bonne, tu vois, je crois qu’on a bien fait de s’arrêter dans ce putain de bled !
Le carré de terre est modeste, plein sud. Les salades ont bien donné, les tomates démarrent, seules les pommes de terre peinent à relever la tète.
Il s’en faudrait de peu pour que Marcel soit heureux, surtout que dans la lumière du soir, l’espace est libre pour créer.
– Je viens de chouraver quelques touffes de soucis devant la boulangerie, dit Jean à la cantonade en arrosant abondamment les patates comme s’il voulait les noyer, et mon vieux disait souvent “soucis dans le jardin évitent soucis dans la chaumière” marmonne -t- il les mains dans la terre.
La boite en fer blanc est restée posée sur un tronc d’arbre couché et ils n’en ont plus jamais parlé. Rien qu’une petite boite en fer et pourtant elle attire et repousse. De jour comme de nuit, la belle luit comme une veilleuse de phare. Elle est omniprésente dans ce jardin. Sera-t-elle ensorceleuse ? Trésor ou poison ?
Marcel brille d’envie de lui faire un sort à cette tabatière qui les suit du premier jour de leur évasion. La soupeser, la secouer, l’ouvrira puis palper, caresser ces graines volées. Mais c’est à Jean de le faire, c’était son idée à lui de cultiver ces graines de pavot transgénique ! Mais Jean depuis qu’il est là, y voit rien, y sent rien, y comprend rien, bon à rien, sauf à ramener des soucis, même dans le jardin.
Lui, Jean, quand il se pose sur le tronc de l’arbre fétiche, ça le démange, ça le titille, ça l’exaspère. Est – ce que ça ne le rendrait pas encore un peu plus fou d’y toucher à ces maudites graines ? Il avait pensé qu’elles seraient leur salut. Les sauver de quoi ? de qui ? Désormais leur rédemption, c’est ce putain de jardin, leur lupanar c’est c’te caborne en pierre, leurs alliés le soleil et la pluie sans oublier la lune qui leur embellit les nuits sans repos.
Jean et Marcel se sentent surveiller par les gens du village. Par les enfants par exemple quand ils passent à pied pour aller à l’école. Par les parents aussi quand ils prennent le car pour aller au marché le mercredi. Et surtout par le paysan d’à côté quand il emmène les bêtes au pré. Ne parlons pas des marcheurs qui en perdent leurs lacets ! Tous pire que des radars, cela ne peut que leur rappeler la ronde des surveillants à la prison !
C’est seulement à l’abri, dans la cabane, qu’ils se sentent un peu protégés, même si la porte ne ferme plus complètement. Ils ont de l’eau, un couteau, un vieux banc à latte – ils y dorment chacun leur tour – un réchaud de fortune, des allumettes, deux couvertures de cheval récupérées une nuit au manège voisin, et la Bible, chapardée au presbytère en même temps que les saintes bougies.
Au fond du jardin, Marcel s’est mis en tète de construire une arche en bois et il ferraille pour démarrer la serre. Une serre aux herbes sauvages ? Tout à coup un cri : il vient de s’entailler le pouce, une entaille bien profonde ! Le sang jaillit, s’écoule dans la terre et s’évanouit en même temps que lui? Ce qu’il croit savoir de moi ne lui apprendra rien? sont ses derniers mots, avant de se fendre le crène sur le tronc de l’arbre tabou.
Jean n’entend rien et ne se doute de rien. Il a ouvert la Bible à la page de l’exode et s’est lancé dans la lecture de cet odyssée, il en est médusé. Les saintes écritures l’emmènent dans un voyage sans limites ou il s’engouffre, sans soucis.
Octobre 2015
En écoutant Sylvia Petrovic en langue croate
La Terre est promise à ceux qui se hasarderont
A la regarder, à la toucher, à l’entendre, à la sentir,
A la respecter, alors
s’émouvoir sera source de beautés et d’alliances.
En costume blanc
Le village courba le dos
Le vent s’engouffra
Les flocons habillèrent les champs alentour
Des toits la neige poudreuse glissa
La rue se resserra imperceptiblement
Et la neige jouait au funambule sur les fils
Tourbillons de flocons
Eclats de vents
Lames de soleil voilà
Ruelles encapuchonnées
Cheminées de fumées blanches
Pieds d’escaliers gelés
Paraboles englouties
Murets ensevelis
Passants emmitouflés
Ciels fiévreux
Février aux Estables.
Sur le chemin, une coquille
A la tombée du jour, il est apparu en haut du village. Une gamelle en fer blanc à la main, un sac à plusieurs étages sur le dos, une casquette rose sur la tête d’où dépassent quelques boucles blond doré : c’est Alîocha, aux pommettes tannées par le soleil et le vent. Il vient du Nord. Il a déjà parcouru 600 kilomètres à pied. Ses chaussures de marche sont en piteux état. Son paquetage marque les intempéries. Son parfum incarne les fruits et feuilles d’automne. Il est au 45 ème jour de son chemin de Compostelle.
Le vent souffle fort. L’église romane de Montarcher s’élève à 1300 m environ. Il hésite mais se décide à grimper jusqu’au parvis, face au vent sauvage. Le sol en granit a emmagasiné froid et pluie des derniers jours. Il frissonne. Signe de bon augure, une vierge sculptée à la pointe de l’ogive lui sourit. Un espace saint, pensa-t-il, susceptible d’accueillir sa natte déjà bien mordillée par les souris des champs, compagnes des nuits de bivouac. Il mesure avec humilité devant lui ce paysage imprenable : les monts d’Ardèche tout devant, les volcans d’Auvergne derrière lui. Grandiose ! Serait-il si près du Puy-en-Velay, étape notoire ou les différents chemins de Compostelle se rejoignent, se mêlent, se rencontrent.
La solitude lui pèse. Il l’a pourtant souhaitée au départ. Avoir choisi Compostelle signifiait bien se confronter à lui-même. Certaines relations l’avaient entrainé pourtant loin, mais si loin de lui, sur des chemins enchanteurs certes ! Se détourner de ces voies paradisiaques aussi éphémères qu’abyssales, comment était-ce possible ? La dépendance le ligotait telle une pieuvre quasi meurtrière. Se détacher, s’éloigner pas à pas : bien plus qu’une trêve, une impérative nécessité d’armistice avec soi-même. Il lui a fallu six mois pour rompre.
Il a dit oui à l’invitation, presque sans hésiter. Coup de fatigue, coup de froid ou coup de cœur envers ces hôtes de passage ? En route, confortablement assis à coté du chauffeur – sa femme ayant été remisée allègrement dans le coffre de leur Mercedes – Alîocha se met à se raconter, avec des mots hachés entrecoupés de soupirs. Que de questions soudainement ! Il retrouve avec difficulté le vocabulaire adéquat d’une langue française qu’il découvrit sur les bancs du collège. Il n’aime pas l’école. Cinq paires d’oreilles attentives et curieuses, public inespéré pour ce jeune marcheur devenu solitaire, à l’image de Gaspard des Montagnes, pèlerin d’un autre siècle, devenu
mythique en son temps en traversant également les sombres forêts du Livradois. Dans la douce chaleur de l’habitacle, Alîocha, chevalier sans peur, insensiblement se détend, sourit et finit par s’assoupir, d’un œil.
Comme c’est.. comment dirait-on ah oui , comme c’est rustikk, ici !
Sous les yeux malicieux de l’invité surprise, la petite maison dans la prairie se révéla : le lustre antique et solennel ainsi que l’abat-jour rouges s’illuminèrent ensemble, les braises endormies s’éveillèrent joyeusement dans le poêle à bois, le vin rosé pamplemousse coula à flots dans des verres à pied vintage tout droit sortis du buffet en bois sculpté, le fauteuil Voltaire refait à neuf roula sous le poids du pèlerin et de son sac improbable, un téléphone portable vibra en même temps que le carillon gothique égrenait une huitaine de coups : une indéfinissable soirée s’annonçait…une soirée inoubliable !
Autour de la table bien garnie, les joues de chaque convive se rosirent belles et bien, tel le saucisson chaud lyonnais fumant invité lui aussi. Après une période de disette, Alîocha montra un appétit de loup, c’était attendu ! Les conversations, quasi bilingues, s’animèrent naturellement, mais oui ! Le fromage de chèvre, sorti favori, enflamma toutes les papilles, de même que le vin rouge s’avéra être un parfait allié des contes d’Henri Pourrat, tous hantés de brigands et de loups garous, dont les récits légendaires accompagnèrent ce repas pantagruélique. Et la Verveine fit son entrée sous les applaudissements : tous derrière et lui, devant comme le petit cheval blanc de George Brassens, les copains d’abord !
Alîocha déposa délicatement ses chaussettes rose auprès du feu, salua l’assemblée sans crier gare et se faufila sous une douche rédemptrice avant de s’endormir sous l’édredon de satin doré gonflé de plumes, la coquille gaillardement ficelée à son ceinturon, sans demander son reste, il en avait déjà eu beaucoup ! Autant que dans ses rêves de Compostelle ?
Ce fut une nuit parmi les mille et une nuits de voyage en terre inconnue d’un petit Alexandre, dit Alîocha, âgé alors de 27 ans.
Au lieu-dit Raffiny, le 11 septembre 2015
en présence de Marie-Antoinette, surnommée Minette, reine de ces lieux et Josée, sa sœurette, auvergnates de naissance, Eliane et Jean-Pierre, amis venus de Roanne (en Mercedes !) et Claire, amie d’enfance lyonnaise aux ancêtres auvergnats, écrivaine en herbe, auteure de ce récit romanesque, inspiré d’évènements partagés.