Il est possible que je vous semble double, mais il n’en est rien. Je me sens bien comme ça. Parfois gringalette, maniaque et obsessionnelle, ligotée par mes attaches, mes rites, mes peurs. Parfois Goliath au cœur tendre, sauveur de l’opprimé, secours du faible. Femme, homme, qui le sait ? Cependant, il n’est pas certain que je ne devienne pas une autre, la triplée en train de naitre, mais laquelle ? Continuer la lecture
Archives de catégorie : MARIE NOELLE
Mythe et musique
Mythes et légendes du Bouchet
Péniblement, sur le chemin de Mézilhac, avance un petit âne. Il porte un précieux fardeau : une mère tenant enveloppé dans un châle son beau petit enfant. Le père dirige l’équipage par la bride.
Ils fuient les persécutions religieuses qui sévissent dans la région. Continuer la lecture
Mythes et vent
Au cœur d’un vallon
Bras perchés dégingandés
Réservoir d’idées
Messages ailés
Tuyaux coudés compliqués
Le sens retrouvé
Rire d’un amant
La machine essaime au vent
Plainte d’un enfant
Génie farfelu
Hermès, coquin, a tout lu
Cet hurluberlu
Mythes et cinéma
Dans ce lieu tourment, les lauzes empilées forment d’étranges bories. Nul ordre, nulle harmonie dans ce décor irréel ou le soleil ardent accentue le contraste entre l’ombre et la lumière. Les flancs des ravins, chaos de strates et de plaques, menacent de s’écrouler. Les pins rabougris sont des gnomes torturés par le vice et la perfidie et les méandres du relief angoissent comme un labyrinthe mortel.
Tapi dans la pénombre, au creux d’un amphithéâtre naturel, Grésivaudan est assis et songe. Il savoure la chaleur du jour qui régénère ses articulations endolories. Non, il n’est plus celui qu’il fut jadis. Sans regret, il a délaissé la pleine lumière ; soulagé, il n(éprouve plus d’accès de noire fureur. Mais quand reviendra la brume, les fantômes et les chimères peupleront sa mémoire.
L’eau symbole
Bruit de l’eau sans discontinuité. Jaillissement et vrombissement perpétuels. Du feu, a jailli l’eau. Du sombre, jaillit l’argent. Le vert et le roux des arbres au printemps adoucissent la dureté du noir et du blanc. Les réseaux des branches d’arbres, le tacheté des feuilles, toute cette masse végétale complexe s’oppose aux lignes sévères de l’eau et du basalte.
Le ciel est nuageux. Sur les versants de la montagne, le soleil se déplace par taches. Il navigue, remonte, épouse les courbes, révèle les nuances. L’homme se nourrit de cette nature volcanique ou l’abondance de l’eau et du végétal le surprend chaque jour. Son regard se pose sur une carte postale punaisée sur le mur ou est inscrite une maxime :
Au bout de la pluie, il y a la mer.
Jusqu’à présent, il n’y avait guère prêté attention, encore sous le choc des événements. Six mois auparavant, en été 1992, il avait emménagé dans cette ferme cévenole. Il fuyait Béchar, chassé par la terreur qui minait l’Algérie. Des amis français l’avaient aidé, lui avait prêté leur résidence de vacances. Aussitôt, il avait été séduit par ce territoire cévenol. Ce qui l’avait envoûté, c’était la pluie, une pluie qui certains jours ne cessait pas. Des rideaux d’eau, des flots d’eau se déversaient du ciel opaque. Le précieux liquide tombait avec régularité, constance, détermination, sur le toit, dans la cour : une vraie bénédiction. Il aimait entendre le bruit soyeux des averses, le clapotis des rigoles, le goutte à goutte des chenaux. Un apaisement venu du plus profond de son inconscient le submergeait. Il se noyait dans le sommeil. Cette pluie chassait la peur qui l’avait rongée dans sa bourgade aux confins du désert. Lui, le laïc, incapable d’hypocrisie, avait été épié, harcelé, détruit, nié car il se dérobait à toute pratique musulmane, refusait de se soumettre aux règles collectives. Rejeté, incompris, menacé, il avait été contraint à l’isolement. Il s’était cloitré. La chaleur et la sécheresse en devenaient encore plus insupportables. Béchar était un four dés le mois d’ avril. Des nuages de sable desséchants se levaient. Toute végétation était condamnée et l’avenir était désespérant.
Et ici, l’humidité, le silence, l’absence de contrA?le social le revivifiaient. Il dormait, dormait, nourri par le chant de la pluie. Peu à peu, rassuré et régénéré, il était sorti de sa tanière. Les arbres, nourris d’eau, explosaient de verdure, les sous-bois exhalaient une odeur forte de mousse, de champignons, de feuilles en décomposition qu’il n’avait jamais respirée. Un jour, lors d’une promenade, il fut alerté par un bruit sourd, puissant. Plus il s’approchait, plus le grondement enflait, prenait de la puissance. Il était fasciné. Il s’enfonéa plus avant au coeur de la montagne sombre, hérissée de rochers noirs en forme d’orgues. Et il la vit ! Une cascade blanche prodigieuse, flot argenté et impétueux sur un écrin de basalte. L’ancien volcan avait engendré une source tumultueuse.
Songeur et bouleversé, il pensa à l’inscription sur la carte postale : Au bout de la pluie, il y a la mer.
Alors, il comprit le sens de cette phr’se énigmatique : il avait envie de suivre ce jaillissement, ce torrent, cette rivière, ce fleuve, il avait envie d’aboutir à la mer. Quitter la ligne de partage des eaux, choisir le bon versant, rejoindre la Méditerranée, le soleil, la sécheresse, sa terre, son désert.
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La mémoire de l’eau
L’eau se souvient du “temps d’avant”. Elle courait libre dans le lac d’Issarlès. Nul réseau hydraulique ne bridait son cours, nul turbine n’exploitait sa force. Elle courait libre dans la vallée du Rhône et de la Saône qu’elle inondait de ses flots boueux selon son bon vouloir.
Elle courait libre dans la vallée du Nil ou le barrage d’Assouan ne limitait pas ses crues.
Nul ne l’avait forcée à entailler des continents à Panama ou à Suez.
Elle n’était pas encore emprisonnée entre les remparts de La Rochelle, ou dans le port de containers de Singapour.
Gelée, elle n’était pas fendue, écartelée par les brise-glace d’Hurtigruten.
Neige, elle n’était pas foulée, écrasée par les dameuses d’Avoriaz.
Fougueuse, ses vagues n’étaient pas sillonnées, fendues par les surfeurs de San Diego.
Enfouie aux tréfonds de la terre, eau fossile des profondeurs des déserts d’Arabie et d’Israel, elle n’était pas au service d’agriculture futuriste.
L’eau avait gardé le souvenir de l’époque ou elle était source de vie et de mort, fantasque, imprévisible, nourricière ou terrifiante. C’est elle qui régnait sur la terre pour le pire et le meilleur. Elle pouvait vivre à son gré. Elle pouvait stagner, empuantir, infester un territoire, Etre sable mouvant, impétueuse et dévastatrice, se faire rare, assécher, détruire, noyer, contaminer, exterminer.
Dans son sein, proliféraient batraciens, bacilles, mammifères, crustacés, anguilles, monstres sous marins, sans nom, ni classification, ni étiquette. Nul ne les préservait ni ne les filmait.
Mais personne n’a la trace de ces temps immémoriaux. Seule l’eau s’en souvient.
L’avenir de l’eau
Aspirine dans un verre d’eau
Agrippé à ma caméra, assis sur le bord du verre, je suis prêt à plonger. Deux énormes doigts surgissent derrière moi et s’approchent précautionneusement de l’eau. Ils tiennent une large soucoupe blanche et poreuse. Je zoome: des grains apparaissent sur la surface du solide.
La soucoupe est lâchée dans l’eau. Aussitôt, je plonge à ses cotés et suis prise dans un tourbillon effervescent que je filme comme je peux. Une odeur acide me fait suffoquer. Les bulles éclatent sur ma peau, se répercutent sur la paroi du verre. Surtout, continuer à filmer! Le spectacle est fascinant et l’éclosion des bulles interminable. Je filme leur geyser argent. Le cachet se pose enfin au fond du verre et j’ai l’impression qu’il m’appelle. Ensemble nous entamons une sorte de danse à deux pas. Filmer devient très difficile car je me sens envahi d’une fièvre hypnotique. Je résiste au désir de partager sa valse et me concentre sur le tournage en pensant à ma prochaine expo. Je tiens un scoop! Je tiens un scoop!
Puis ma partenaire se transforme peu à peu. Elle perd de sa rondeur, se creuse et bientôt devient un croissant de lune. Et moi, pauvre Pierrot, je sens que la fin du rève approche : les bulles diminuent en taille et en vitalité. Très lentement l’aspirine, ou plutA?t son ombre , remonte à la surface. Je filme cette ascension, à contre jour, avec nostalgie. Puis, tout se calme Seuls vestiges de ce happening insensé, des petits points blancs qui flottent dans l’eau et qui s’accrochent désespérément à la paroi du verre.
De rares bulles encore actives éclatent mollement: c’est la fin de la danse.
Hébété, saoul, trempé, je remonte à la surface serrant contre moi, comme un trésor, ma caméra humide.
Triptyque : eaux rares, abondantes
1983. Paris
Un jour, au palais de la Découverte, j’ai assisté à une expérience de Physique avec mes élèves de sixième. Dans un laboratoire ancien et majestueux, deux professeurs ont manipulé des instruments scientifiques mystérieux : cornues, pipettes, bec bunsen. Ils nous ont expliqué qu’ils allaient réaliser la réunion de deux atomes d’hydrogène et d’un atome d’oxygène.
Je me souviens de la formation d’une grosse bulle d’air, d’une détonation et de la naissance d’une goutte d’eau. Et nous avons eu la sensation d’assister à la création du monde.
1973. Sahara. Hassi Messaoud- Djanet.
L’eau était comptée. Trois jours de piste en autonomie complète. Les véhicules traversaient les ergs, les regs, les hamadas : espace minéral à l’infini, sable, roches, roses des sables, cailloux noirs et tranchants. Quelques rares arbres épineux à l’ombre légère, quelques fleurs éclatantes au ras du sol, végétation inconnue et résistante qui puisait au cœur du sol l’eau de pluie tombée deux ou trois ans auparavant. Dormir sous les étoiles. Splendeur du ciel étoilé qui écrase de son scintillement. L’envie folle de me purifier, d’être la poussière de ma peau. Un demi- litre de l’eau si précieuse prélevée sur nos réserves me lava et me tonifia.
1993. Indonésie .
L’eau abondante, les trombes de pluies chaudes, renouvelées jour après jour. La touffeur tropicale. Bambous, cocotiers, frangipaniers, banians jaillissent et s’élèvent chaque jour. Le soleil, l’eau, la terre volcanique s’unissent, mêlent leurs énergies, créent en profusion, sans interruption ces arbres démesurées, chargés en chlorophylle. Pas de répit, pas de morte saison. La vie végétale, encore et encore jusqu’à saturation.
La femme dans son jardin
La fatigue de la journée pesait sur elle, mais elle était satisfaite d’avoir tout mené à bien. Ses enfants étaient lavés, nourris, leurs vêtements étaient propres et la case bien rangée. La nuit tombait tôt aux tropiques et elle n’avait que peu de temps pour soigner son jardin, mais c’était un temps précieux, sa récompense de la journée. A ce moment-là, elle oubliait tous ses soucis, devenait vraiment elle-même.
Le sol était imprégné des pluies chaudes de l’après-midi et elle aimait s’enivrer de l’odeur de la terre humide. Ce soir, elle avait prévu de désherber ses plantes aromatiques. Elle avait apporté un soin particulier à cette parcelle. Elle avait tamisé la terre qui coulait entre ses doigts fine comme de la farine. Elle avait semé en alignement toutes les graines. Elle avait assisté à leur lente germination, les jeunes pousses semblant écarter les minuscules mottes de terre pour poindre à la lumière. Nul besoin d’arroser sous ces latitudes, mais que d’efforts pour se défendre contre l’excès de végétation! Alors, patiemment, avec ténacité, elle arrachait chaque herbe indésirable en veillant à ne pas se tromper. Accroupie, concentrée, le soleil couchant éclairait ses habits lumineux, sa peau ambrée et soyeuse. Elle chantonnait, absorbée par son travail de fourmi. Elle entendait autour d’elle vivre le voisinage. Les bruits de cuisine, les pétarades des cyclomoteurs se mêlaient aux conversations, aux rires, aux disputes. Les plantations de canne à sucre toutes proches, la jungle plus lointaine enserraient le village. Elle percevait les cris et les déplacements feutrés des animaux nocturnes et ne s’en inquiétait pas. Elle continua son désherbage solitaire jusqu’à la nuit tombée.
Demain, je me lèverai tôt. Avant que le soleil ne soit trop brûlant, je dois récolter les jeunes ananas et les litchis, sinon ils seront trop mûrs. Mais, j’ai bien peur que la maladie ne se soit mise dans les manguiers! Il me faudra aussi nourrir les poules.
Une émission entendue à la radio lui revint alors en mémoire. Dans la métropole, des paysans luttaient pour défendre une agriculture biologique. Et l’un d’entre eux avait dit: “J’ai toujours refusé de nourrir mon bétail à base de carcasses d’animaux”.
Comment était-ce possible, se demandait-elle? Jusqu’ou l’homme ira-t-il dans l’absurdité?
Le sommeil la prit au milieu de ses projets et de ses réflexions.
La feuille au vent
Feuille légère dans le vent
Souviens-toi de cet instant
L’été te réjouit
Dans l’air tu frémis
Charnue, verte et vive
Le bonheur t’arrive
Feuille légère dans le vent
Souviens-toi de cet instant
Aout, chaleur de mort
Et septembre d’or
Tu attends la pluie
La pluie te ravit
Feuille légère dans le vent
Souviens-toi de cet instant
Tu tombes et tu tombes
C’est la valse sombre
Tu reposes sur le sol
Toi qui fus plume folle
Feuille légère dans le vent
Souviens-toi de cet instant
Enfin je te tiens
Tu dors dans ma main
Fragile, ciselée
Comme parcheminée
Feuille légère dans le vent
Souviens-toi de cet instant