La femme dans son jardin

La fatigue de la journée pesait sur elle, mais elle était satisfaite d’avoir tout mené à bien. Ses enfants étaient lavés, nourris, leurs vêtements étaient propres et la case bien rangée. La nuit tombait tôt aux tropiques et elle n’avait que peu de temps pour soigner son jardin, mais c’était un temps précieux, sa récompense de la journée. A ce moment-là, elle oubliait tous ses soucis, devenait vraiment elle-même.
Le sol était imprégné des pluies chaudes de l’après-midi et elle aimait s’enivrer de l’odeur de la terre humide. Ce soir, elle avait prévu de désherber ses plantes aromatiques. Elle avait apporté un soin particulier à cette parcelle. Elle avait tamisé la terre qui coulait entre ses doigts fine comme de la farine. Elle avait semé en alignement toutes les graines. Elle avait assisté à leur lente germination, les jeunes pousses semblant écarter les minuscules mottes de terre pour poindre à la lumière. Nul besoin d’arroser sous ces latitudes, mais que d’efforts pour se défendre contre l’excès de végétation! Alors, patiemment, avec ténacité, elle arrachait chaque herbe indésirable en veillant à ne pas se tromper. Accroupie, concentrée, le soleil couchant éclairait ses habits lumineux, sa peau ambrée et soyeuse. Elle chantonnait, absorbée par son travail de fourmi. Elle entendait autour d’elle vivre le voisinage. Les bruits de cuisine, les pétarades des cyclomoteurs se mêlaient aux conversations, aux rires, aux disputes. Les plantations de canne à sucre toutes proches, la jungle plus lointaine enserraient le village. Elle percevait les cris et les déplacements feutrés des animaux nocturnes et ne s’en inquiétait pas. Elle continua son désherbage solitaire jusqu’à la nuit tombée.

Demain, je me lèverai tôt. Avant que le soleil ne soit trop brûlant, je dois récolter les jeunes ananas et les litchis, sinon ils seront trop mûrs. Mais, j’ai bien peur que la maladie ne se soit mise dans les manguiers! Il me faudra aussi nourrir les poules.

Une émission entendue à la radio lui revint alors en mémoire. Dans la métropole, des paysans luttaient pour défendre une agriculture biologique. Et l’un d’entre eux avait dit: “J’ai toujours refusé de nourrir mon bétail à base de carcasses d’animaux”.

Comment était-ce possible, se demandait-elle? Jusqu’ou l’homme ira-t-il dans l’absurdité?

Le sommeil la prit au milieu de ses projets et de ses réflexions.