Gueule béante
Ouverte sur la vallée
Le temps est figé
Froidure du passé
Cris étouffés par le vent
Enfance fauchée Continuer la lecture
Gueule béante
Ouverte sur la vallée
Le temps est figé
Froidure du passé
Cris étouffés par le vent
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Je fus Inspirée par l’attentat perpétré sur la Promenade des Anglais de Nice au cours duquel 84 personnes ont perdu la vie, victimes d’un djihadiste qui a lancé son camion sur la foule venue assister au feu d’artifice du 14 juillet.
A l’aube de ce jour d’après le grand chaos où la terre saigne encore des blessures des innocents terrassés par la main vengeresse d’hommes en péril, je m’interroge. Continuer la lecture
Le conte est parfois perçant, quand il est nordique, il soulève la neige, des trolls aux mines. Les contes bercent l’imagination de l’enfant et le conduisent au voyage, au dépassement de soi.
Faces effrayantes grimacent et se jouent des feux follets qui les entourent. Quand ils sont de Perrault, ils donnent la parole aux animaux et nous montrent les chemins dérobés de la sagesse.
Et ceux de Grimm ! Ah ceux de Grimm ! La petite fille aux allumettes, heum, la petite fille aux allumettes ! Rien qu’à l’évoquer, mes doigts s’engourdissent, le froid me pénètre jusqu’aux entrailles. La lueur de la dernière allumette soufflée, les étoiles au ciel me sourient et scintillent l’éclat des âmes chères à mon cœur.
Il était une fois Argos qui habitait sur le plateau des Estables où en hiver souffle la burle jusqu’à pierre fendre. Ce garçon avait une particularité qui le distinguait et le tenait à l’écart des autres enfants du village ; il avait plus de paires d’yeux que la pieuvre n’a de tentacules et Shiva de bras réunis.
Argos avait, de jour comme de nuit, au moins une paire d’yeux ouverts, il veillait sans relâche, ne trouvant jamais le repos.
Dans sa tendre enfance, il n’avait d’yeux que pour sa mère, qu’il suivait partout. Une nuit, il la surprit alors qu’elle quittait en catimini le domicile familial. Elle somma Argos de ne pas la suivre. Quand la belle revint, elle se glissa sous les draps en faisant très attention de pas réveiller son époux. Pas un regard, pas une attention à son fils qui l’avait attendu toute la nuit sans rien dire. Depuis cette nuit-là, la peur de ne plus jamais revoir sa mère le hantait mais il n’en dit rien. Son enfance fut des plus solitaires, la plupart du temps, il restait à la ferme au lieu d’aller jouer avec ses camarades sur la place du village. Il devint taciturne et s’inventa des mondes imaginaires pour supporter sa mélancolie.
Mettant à profit les pouvoirs de son fils, son père lui confia très tôt la garde du troupeau de vaches et de moutons qui faisait la richesse de sa ferme. La capacité de son enfant de voir en même temps devant, derrière, d’un côté comme d’un autre, en haut en bas offrait un atout inestimable pour mener à bien le travail. Aucune bête ne pouvait échapper à sa surveillance. L’exploitation familiale prospéra et les talents d’Argos furent vantés à travers tout le canton.
Vint le jour de la fête du village, une jeune fille, venue en vacances aux Estables, attira son attention. Elle lui parut si belle et si charmante qu’il ne put détacher son regard de son visage doux et tranquille, de sa lourde chevelure rousse, de sa silhouette gracile et de ses yeux aussi bleus que le ciel un jour de grand soleil. Élisa, car elle s’appelait Élisa, tomba sous le charme de ce jeune homme tellement différent des autres garçons de son âge. Au premier face à face, l’apparence de ce jeune homme, dont la tête et le corps étaient couverts d’yeux qui la dévisageaient l’effraya. Surmontant son premier étonnement, et par curiosité sans doute; la jouvencelle parisienne revint le voir. Petit à petit ils éprouvèrent une attirance l’un envers l’autre ; ils découvrirent qu’ils avaient les mêmes vues sur le monde, qu’ils partageaient les mêmes valeurs, les mêmes envies d’avenir. Attentionné, timide et discret, attentif, répondant à ses moindres désirs, Argos couvait des yeux Élisa, il la comblait de tendresse et d’amour. Au printemps suivant, elle l’épousa bravant ses parents qui ne voyaient pas d’un bon œil l’union de leur fille avec un être aussi disgracieux, de souche paysanne de surcroît. Quand un plus tard, elle mit au monde deux beaux enfants, semblables à leur mère, la peau blanche, les cheveux roux et une seule paire d’yeux d’un bleu azur, la joie d’Argos fut à son comble. Deux paires de drap ne suffirent pas à éponger ses larmes de joie. Son attention à l’égard de sa petite famille redoubla, Il n’avait de cesse de veiller à leur sécurité, leur santé et leur bonheur. Toutefois, alors que l’amour entre les époux grandissait au fil des jours et des épreuves, le contrôle permanent qu’Argos exerçait sur Élisa et ses enfants commença à lui peser. Elle ne pouvait rien entreprendre, rien décider sans qu’il ne donne son avis, sans qu’il y appose un veto ou sans qu’il ne les conditionne à ses propres fins. Son souci de protection et son surcroît de précaution bridaient la moindre de ses envies et cassaient ses élans. Elle tenta à plusieurs reprises de l’alerter, de lui demander de la laisser respirer, de la laisser vivre un peu à sa guise, de ne pas brider ses initiatives. Argos comprenait et, repentant, jurait qu’il s’amenderait mais il ne pouvait lutter contre sa nature profonde et reprenait le contrôle et la veille rapprochée sur sa petite famille.
Puis, Argos tomba gravement malade, il fut atteint d’une maladie chronique qui lui occasionna de fortes douleurs et qui l’immobilisa au lit de nombreuses semaines. Fini les gardes incessantes auprès des siens, c’est lui qu’à son tour Élisa veilla, jour et nuit, soigna et réconforta. Il rageait de ne pouvoir vaquer à ses occupations et contre son gré, il baissa la garde et entama une lutte courageuse contre les atteintes de la maladie pour retrouver sa place auprès de son foyer. Il acceptait enfin que les êtres qu’il aimait, les choses, sa destinée même échappent à son contrôle. Il apprit le lâcher prise et revit à la baisse ses exigences envers lui-même et envers les siens. Il entama alors un long apprentissage pour regarder non plus à l’extérieur mais à l’intérieur de lui-même. Malgré ses pouvoirs de vision étendue, l’exercice fut difficile et lui demanda beaucoup d’application. Il fut bien étonné de trouver en lui la confiance, l’Amour et la compassion pour lui-même ainsi que pour les siens. La paix et l’Amour revinrent au foyer.
Beaucoup plus tard, quand vint le moment de sa dernière heure, c’est serein et apaisé qu’il ferma les yeux pour la dernière fois, sans peurs, heureux d’avoir accompli sa mission sur terre au mieux de ses capacités et comblé par l’amour de sa famille.
Il ne pleuvait plus depuis déjà quelques quatre vingt jours quelque chose s’était détraqué dans le ciel. La grande sécheresse de 1976 dont bien peu se souvenaient en cet été 2029 semblait en passe d’apparaitre aux historiens du climat comme une fantaisie anecdotique et localisée au regard du drame qui s’annonçait. Car la chaleur et l’absence d’eau s’accentuaient à présent de jour en jour sur l’Europe occidentale.
Les records de température de la canicule 2003 étaient battus depuis déjà plusieurs semaines. La température de jour dépassait les quarante cinq degrés de Londres à Marseille en passant par Paris ou Berlin, et atteignait jusqu’à 52 dans le sud de l’Espagne, en Sicile ou en Grèce. La nuit n’apportait que peu d’apaisement et le thermomètre n’indiquait nulle part moins de trente-cinq degré. On étouffait dehors comme dedans. La mortalité cependant n’avait pas encore atteint les terribles chiffres de l’été 2003 à savoir : 70 000 morts en Europe dont 20 000 en France, en particuliers des vieillards affaiblis et suffoquant littéralement, par manque d’attentions et de soins appropriés. Toute les précautions avaient cette fois été prises. Ventilateurs et climatisations équipaient toutes les maisons de retraite, les hôpitaux et la plupart des maisons individuelles en vertu du plan Canicule adopté quelques années plus tôt, et garantissant à toute personne âgée l’accès aux équipements et à la surveillance appropriée. Toute l’Europe avait mis en place cette sorte de plan. Mais le plan France Canicule était le plus protecteur. Il est vrai qu’en 26 ans la répartition des tranches d’âge dans la population française avait considérablement évolué. Les personnes âgées en surnombre avaient en quelques sortes pris les rênes du pouvoir. Constituant une part dominante de l’électorat, elles avaient porté au pouvoir le FRONT DU PROGRES NATIONAL dirigé par Marion Maréchale, (qui avait laissé depuis longtemps aux oubliettes le nom de Le Pen, et l’héritage familial encombrant qu’il représentait). Elue présidente en 2023, et portée par la masse électorale des plus de soixante ans elle impulsait une politique résolument anti jeune et anti immigré qui confortait les avantages de tous les autres. Les jeunes et les immigrés en effet étaient tenus pour suspects et dangereux. Les premiers très méthodiquement encadrés dans des écoles et des centres de formations, proches de l’encasernement n’en sortaient que pour les emplois auxquels on les affectait d’office en fonction des besoins ou des opportunités économiques, militaires ou sécuritaires. Les seconds regroupés en cités de transit, (CT) se voyaient octroyés des titres transitoires de séjour (TTS) et pouvaient travailler dans des usines, essentiellement de la défense nationale, sous condition d’adaptabilité et de soumission aux modes de vies et aux réglementations en vigueur. Les autres étaient expulsés. Reconduits aux frontières. Abandonnés à leur sort. Tout retour illicite, était passible de condamnation et d’enfermement en Centre de rétention provisoire, (CRP), en fait des prisons spéciales, dont on ignorait à l’extérieure le fonctionnement, et dont on ne ressortait pas.
Il faut dire que l’état de guerre entre l’Europe, et les USA d’un coté et l’Etat Islamique d’autres part, rendait les populations peu regardantes sur le respect des droits de l’homme et en particulier le sort des émigrés considérés à priori comme dangereux.
La France, forteresse assiégée avait retrouvé ses frontières et ses douanes, ses modes de vie différenciés selon les régions et traditions. Les attentats étaient rares mais terribles et des prises d’otages mal terminées avaient causé durant les dernières années plusieurs centaines de morts, mais les vrais combats avaient lieux sur les terres africaines ou depuis plus d’une décennie les victimes se comptaient par milliers presque chaque jours, une terrible saignée qui laissait une grande partie du continent ravagé, et les épidémies et famines s’y développant, tout ce qui s’étendait au sud de la méditerranée ressemblait à un enfer.
La canicule qui frappait cette année là l’Europe, et la France en particulier était présentée par les idéologues islamistes comme un châtiment divin, annonciateur de la chute finale des contempteurs de la vraie foi.
Le choc des cultures avait atteint ces derniers temps un point de non retour. Les Musulmans de France regroupés en leurs quartiers priaient dans leur mosquée, et le christianisme presque moribond dans la France des années 10 avait dans la décennie suivante connu un étonnant retour d’intérêt.
Les processions et manifestations de prière publique pour obtenir le retour de la pluie devenait en cette fin d’été 2029 un véritable phénomène de société, accentuant la rechristianisassions du pays.
Il est vrai que l’assassinat du pape François par un fanatique islamiste avait, quelques années auparavant, singulièrement frappé les esprits et mobilisé des foules imposantes. Toutes les églises et cathédrales étaient pleines chaque dimanche, et de nombreuses petites églises de campagne désaffectées avaient été ré ouvertes au culte. Par ailleurs, l’encyclique de François 2 permettant aux laïcs, aussi bien homme que femme de célébrer la messe et de donner l’eucharistie avait redonné un grand essor aux pratiques religieuses, encouragées d’ailleurs par l’état nationaliste et conservateur, qui en France comme ailleurs en Europe, assurait un pouvoir réactionnaire, et autoritaire, proche des dirigeants catholiques et du nouveau pape. Lui-même était issu du Moyen Orient, patriarche irakien yazidi, converti au catholicisme. Son élection considérée comme une provocation par les musulmans, n’avait pas peu contribué à accroitre les tensions devenues paroxystiques. Mais plus que la guerre et les conflits religieux internes, c’est le climat qui devenait en cet été 2029 le sujet majeur de préoccupation. Les américains, les européens, les chinois et les russes alliés dans la guerre contre l’islamisme avaient d’un commun accord convenu d’un moratoire dans les mesures de transition énergétiques destinées à réduire le réchauffement. La relance économique, fondée sur un réarmement conventionnel généralisé avait quasi aveuglé les populations sur les périls climatiques. Le retour du plein emploi et les hausses de salaires, allias à un contrôle drastique des médias avait redonné à l’ensemble des gouvernants une indiscutable popularité et les opposants écologistes discrédités et ridiculisés étaient présentés comme d’irresponsables professeurs tournesols accrochés à leurs lubies, et radotant des inepties rétrogrades. D’ailleurs pendant tout le début des années 20 les hivers avaient été plutôt rudes et les étés pluvieux ou d’une chaleur modérée. Mais depuis deux ans les choses avaient changé.
2027 avait été très chaud, presque sans neige durant l’hiver et avec bien peu d’eau en été. 2028 avait été l’année de la grande sécheresse, quasi comparable à celle de 1976, mais marquant beaucoup moins les esprits tant la technologie et l’organisation sociale avait permis de vider en partie les rivières au profit de l’agriculture, et la chaleur élevée mais tolérable avait été fort appréciée de tous les vacanciers.
C’était une toute autre affaire qui se développait dans cet été 2029. La chaleur du mois d’aout était telle que la végétation séchait sur pied, et cette fois ci l’inquiétude alimentaire était forte. Toutes les vignes semblaient déjà perdues. Le bétail donnait des signes inquiétant de risque sanitaire. Le niveau des rivières et des réserves d’eaux par ailleurs largement polluées avait tellement baissé par suite des prélèvements inconsidérés de l’année précédente que les experts prévoyaient une situation de crise et de grave pénurie, si aucune pluie ne venait d’ici une quinzaine de jours rafraichir les sols, les bêtes et les gens sur les territoires de plus en plus exsangues de l’Europe du nord. Les météorologues ne voyaient rien venir les anticyclones demeuraient stabilisés, et les pluies tombaient ailleurs dans le grand nord canadien, le pacifique, ou l’est de la Sibérie mais plus une goutte en Europe et assez peu en Amérique du Nord qui commençait elle aussi à entrer dans la crise.
Seule l’Amérique du sud semblait bénéficier d’une relative stabilité hygrométrique. Cette exception au désastre mondiale décida les dirigeants occidentaux à envisager un pont aquatique entre le Brésil et les Etats Unis d’une part, et l’Europe d’autre part. L’eau de l’Amazonie serait transportée par les pétroliers géants réaffectés pour ce transport se substituant au transport habituel des produits pétroliers. Cette mesure en apparence de bon sens allait avoir des conséquences incalculables. Quand elle fut prise par une poignée de bureaucrates occidentaux dans un grand hôtel de Lausanne, on pensait qu’il ne s’agissait alors que d’une mesure d’urgence et de circonstance, ne devant avoir qu’une durée limitée au plus à quelques semaines. Mais elle dura plusieurs mois, provoquant d’abord une pénurie pétrolière aux conséquences terribles. La circulation des véhicules à moteur fut d’abord réglementée, puis interdite totalement en Europe, à l’exception de celle des camions citernes qui depuis les grands ports alimentaient les villes et villages. Les immenses navires apportant l’eau par millions de tonnes et faisant la navette entre les deux rives de l’atlantique ne pouvaient cependant permettre à l’Europe de maintenir son agriculture son élevage, et d’abreuver ses populations. Des mesures de rationnement drastiques furent prises. On ne chercha pas à savoir ce qui se passait derrière les grilles des centres de rétention, mais il fut décidé de vider tous les centres de transit et de ne plus accepter l’arrivée d’un seul émigré.
Les quartiers musulmans se virent privés par ailleurs de tout ravitaillement organisé par l’Etat, servant en priorité, mais dans les faits exclusivement, les populations dites “de souche”.
Ces quartiers qui ressentaient déjà de longue date un sentiment d’exclusion, se soulevèrent sans doute également sous l’effet d’agitateurs islamistes saisissant cette opportunité.
Les transports d’eau furent attaqués et détournés, une part de l’armée déployée en Afrique fut rapatriée en France pour assumer leur sécurité et mater les rebellions. La guerre civile s’installa s’ajoutant aux guerres d’outremer.
Et la chaleur ne diminuait pas, et la pluie ne revenait pas.
Le mois de septembre fut inimaginable ment chaud. Autour de 45 degré dans le nord au dessus de 50 dans le sud de l’Europe.
Les décès commencèrent à se multiplier du fait des rationnements, du stress de la situation, des affrontements entre communautés. La vie devenant intolérable et de semaine en semaine s’aggravant, en dépit des promesses fatalistes des dirigeants affirmant que l’automne finirait par arriver, que les températures allaient baisser et la pluie revenir, les populations commencèrent à envisager des mesures d’exode massif. Les habitants des campagnes commencèrent à se regrouper autour des fleuves et des points d’eau. Les barrages furent pris d’assaut et cernés de campements. Une ruée vers la Suisse et ses lacs fut arrêtée par des barrages de route et de puissants moyens militaires mis en place par ce pays. Toutes les ressources d’eau furent d’ailleurs et dans toute l’Europe militairement sécurisée surtout à partir du moment ou les réseaux d’eau potable durent être coupés, et remplacés par des points de distribution sous contrôle de milices armées.
Une impression de fin du monde se répandit dans une Europe dévastée.
Toutes les grandes villes portuaires doublant, triplant leur population devenaient des campements géants d’attente pour d’improbables embarquements vers des pays? il pleuvait encore.
Octobre arriva sous un soleil de plomb persistant et une température moyenne de 48 degré.
François hollande se réveilla en sueur, tremblant de peur et les idées confuses; il se dit dans son demi sommeil : je dois absolument réussir cette Conférence de Paris et faire signer le protocole sur le climat. Mais au fait en quelle année sommes-nous?
Peu de temps après mon voyage solitaire au Québec de fin mai 2009, je fis un rêve étonnant, quasiment une VISION, en m’éveillant dès le matin, je rédigeai, de mon lit, le texte ci- dessous en le datant du Samedi 6 juin 2001 (en fait 2009) – mal réveillé ma notion du temps restait floue au lendemain d’une soirée photo de voyage de “la Bella Italia”, très arrosée et voilà mes notes, telles quelles, prises au matin, encore dans le demi-sommeil)
Nuit agitée, difficile, presque des visions et qui se clôt par une grande réception-débat, à table. Je prends tardivement la parole dans une grande discussion ma prise de position est très attendue. On ironise sur mes grands loisirs, évoqués auparavant, qui me permettent le temps de la réflexion Je précise en préambule qu’ils sont bien remplis, et voilà le discours qui me vient en bouche :
LE DISCOURS DE LA VIE
La question soulevée tournait, me semble-t-il autour de la morale et de la responsabilité au regard du problème de la mort et d’une autre vie possible. D’emblée j’affirme qu’il me paraît possible d’apporter une réponse simple et définitive à ces questions compliquées (ce qui fait ricaner). Il suffit de s’appuyer sur quelques certitudes premières qu’il convient d’abord de rappeler. Et là mon discours commence. Il est magnifique de clarté et d’intelligence, ma voix est assurée, très calme, chaque mot est pesé et tombe à sa place ; tout ce discours que je découvre moi-même en le disant est parfaitement frappé au coin de l’évidence et s’impose comme tel à tous ceux qui l’entendent. Quelques ricanements et réactions ironiques viennent encore semblant signifier qu’évidemment, on peut toujours enfiler des perles de lieux communs et ouvrir des enfilades de portes ouvertes, mais peu à peu les rires se tarissent et tout se tait dans une attention exceptionnelle et silencieuse. L’étonnement d’abord puis l’admiration et la stupéfaction se lisent sur les visages, puis la conviction de la vérité qui s’impose à tous ; je passe moi-même par ces sentiments en m’entendant. Je ne peux reproduire ce discours, mais je me souviens du plan qui le composait :
1/ Gratitude envers la vie reçue, certitude première, reçue gratuitement de nos parents, mais non donnée, transmise, comme un relais, reçue par eux-mêmes aussi gratuitement, et aussi remarquablement transmises à leurs parents par les parents de ceux-ci et ainsi de suite aussi loin que l’on remonte. La Vie est un bien, dont nous jouissons comme ils en ont joui, un bien indiscutable, partagé avec tous les vivants présents, passés et à venir, et au-delà de la vie même, notre existence est un bien reçu et transmis, partagé par tout ce qui fut, est ou sera. L’existence comme don gratuit reçu et transmis, cette vision répond aux paroles de Saint François sur son frère le soleil, sa sœur la lune etc mais j’anticipe là sur la deuxième certitude.
2/Fraternité des existences ; nous ne vivons pas seuls, nous n’existons pas seuls. Nos frères et soeurs vivants, humains et non humains, ont reçu la même transmission du don gratuit de la vie bonne, et tous les animaux, toutes les plantes, toutes les êtres ont reçu le don de l’existence ; nous voilà avec cette affirmation au cœur du “cantique des créatures” de Saint François d’Assise. Comment ne pas saluer l’évidence de cette fraternité des êtres vivants sur notre planète et d’une manière plus générale de tous les existants de notre univers ? Toutes les créatures, vivantes ou non, sont fraternelles et ce mot de créature nous mène à l’idée de création. Rien de ce qui existe dans la création ne nous est étranger. Et nous n’avons pas à refuser ce mot de création, mais à lui donner sa pleine valeur de signification. Les créatures existantes, vivantes ou non, qui nous entourent et dont nous sommes part ne peuvent se mettre en doute, toutes ont reçu comme nous le don gratuit de l’existence transmis depuis l’origine Comment douter en effet qu’il y eut une origine à ce processus dont nous voyons le déploiement, et notre gratitude première doit remonter jusqu’à cette cause première de toutes les existences fraternelles. Cette cause première, créatrice des créatures, nous ne pouvons la nommer et nous en ignorons tout sauf ses effets. Mais c’est d’elle que nous vient ce don gratuit de vie dont nous jouissons dans la fraternité de tout ce qui est.
3 /Responsabilité et solidarité à l’égard du vivant et de tout l’existant; vivre en gratitude nous engage à ne pas nuire délibérément à la vie et à l’existence de nos frères les êtres de l’univers. Je développais la chose.
4/Toute crainte de la mort n’a pas de raison d’être, avant nous sont passés des fleuves de vies et d’êtres qui nous ont transmis le flux vivant des existences qui nous porte à présent, ils sont passés et les vies et les êtres d’à présent transmettent à leur tour leur gratitude d’être au flot des nouvelles vies, des nouvelles existences. Le flot qui nous vient du passé et remonte à la première origine est ininterrompu. Que sommes nous, sinon une goutte dans ce fleuve, qui vient de l’innommé et va vers l’innommé, ce qui EST, était avant nous, et sera après nous. Jouons notre rôle de goutte dans les eaux du grand fleuve, de feuille dans les branches du grand arbre, chacun de nous à sa place, sans plus de souci de mourir que nous n’en avons eu de naître, ne vivons que de gratitude d’être et d’être part au grand Etant du monde créé. Je ne sais plus trop les termes que j’employais pour ma péroraison lyrique et inspirée mais je me souviens de leur force et de leur effet ; mes mots étaient si convaincants, si apaisants, ils apportaient une si belle réponse aux questions soulevées, que tous se taisaient après mes paroles et que le président de séance reprit la parole en me remerciant et me disant qu’en effet mes loisirs étaient bien employés s’il me permettaient de telles réflexions et qu’il me remerciait de les partager avec cette assemblée.
Au musée d’art moderne à Paris du 8 avril au 21 aout 2016
Artiste allemande, Paula Mendersohn Becker (1876-1907) est une figure majeure de l’art moderne et du mouvement expressionniste en Allemagne. Séjournant souvent à Paris, elle rencontre des artistes qu’elle admire comme Paul Cézanne, Paul Gauguin et Auguste Rodin. Continuer la lecture
La chaleur est accablante. C’est midi au soleil. Il rêve d’eau, d’eau de source. Ses pieds s’échauffent dans ses chaussures montantes, pourtant dépourvues de lacets aujourd’hui. Va savoir pourquoi ! Pas d’arme, pas de bagage. Il va seul. Il porte sa vie. Il la porte clandestinement. Il marche depuis des jours pour échapper à la misère et à la guerre. Il est étranger à ce pays.
C’est le pommier qu’il découvre tout d’abord, pommes moisson, petites et rondes, rouge et jaune. En croquer quelques-unes. Puis le potager tout de vert : haricots en fleurs, branches charnues de rhubarbe, choux pommés, fanes de carottes, plants grimpants de tomates et de petits pois. En contrebas, le ruisseau gargouille entre les cailloux, s’étire et glisse dans une simple auge en pierre de lave qui dégouline. L’eau y est limpide. Il s’assoit au bord de cet abreuvoir, y plonge les mains d’abord : l’onde s’enroule sur les doigts, douce, fraîche. Il soupire d’aise. Enfin pieds nus, il pénètre dans le bac, s’y assoit et ne bouge plus. Sentir l’eau sur la peau, sur les chevilles, entre les orteils, sous la plante des pieds : de l’eau fraîche, seulement cela pour ses pieds enflés. Fragrance de l’eau glacée jusque dans ses narines, au bord de ses lèvres. Frisson dans tout le corps.
Le jardin s’étire sans bruit, à la limite des lieux habités. Il a de la chance, voilà le refuge ol la force de l’eau sur la pierre balaie la fatigue. Il ferme les yeux et laisse couler en lui les songes vagues et envahissants du grand chemin. Voyage à la lisière entre terre et eau. Quelque chose de sourd bat à l’intérieur de lui.
La porte en bois au fond du jardin claque dans le lointain, battement de tambour répétitif. La mélodie le berce jusqu’à presque la nuit tombante. Pourtant il faut bouger. Il traverse l’enclos à la clarté du soleil couchant, enveloppé d’un halo d’innocence, une surprenante perception. Les senteurs s’entremêlent. Il sent lui-même le poil mouillé. Il n’en revient pas du moelleux de la terre battue. Il s’étonne que ses pas laissent une empreinte sur la terre volcanique. Et il s’interroge car le large chemin qui, tout à l’heure, longeait le bord de l’eau s’en était maintenant franchement écarté et s’était changé en un sentier serpentant entre les buissons épineux. Fallait- il continuer ? Rebrousser chemin ?? Avant de retourner les murs comme une crêpe, le vent pourra repasser ? pense -t- il en s’acclimatant à l’obscurité de la baraque de planches et de torchis dans laquelle il pénètre. Fraîcheur et odeurs mêlées, la plus forte étant la basane musquée. La nature semble avoir repris ses droits dans l’étable abandonnée. Sur les murs lézardés, s’entrelacent toutes sortes de plantes grimpantes. Il pose sa casquette sur une malle rouillée. Il détaille les outils au sol : fourche, râteau, pelle, brouette, arrosoir, échelle. Sur les étagères rongées par le temps, il inventorie un sécateur, un plantoir, des boîtes d’engrais, des ficelles, un almanach et une boîte à sucres.
Il sent une torpeur l’envahir, lourde sur les épaules. Soulevant le couvercle de la malle cabossée, il aperçoit un cahier d’écolier à la couverture en kraft bleu ornée d’une étiquette blanche. Il ne sait pas lire, il ne sait pas écrire, même dans sa langue maternelle. Les larmes coulent sur l’encre bleue des mots écrits à la plume. Il ne retient plus ni la tristesse, ni la détresse. Une lassitude ancienne, si profonde : elle terrasse.
Une averse, un doux rythme nocturne, humide, familier, le temps s’écoule, haché. Dans l’épaisseur des ténèbres et du silence, on entend seulement la pluie qui redouble. Et c’est l’orage maintenant. Ca tambourine sur les lauzes du toit. Ca le berce. Serait -il en train de s’endormir ? Il dort si mal en temps ordinaire.
Un rayon de soleil pénètre dans la pièce dans laquelle il a dormi. Il s’éveille. En ce matin de septembre, la lumière de l’aube met tout en relief. Sur l’établi, parmi les objets à la fois éparpillés et classés, se détachent le marteau et l’enclume, et puis des ciseaux de toutes tailles, de fins couteaux, des fils de cuir, de lin, de chanvre, des aiguilles, des clous en cuivre. Il n’a jamais rien vu de pareil ! Avec prudence, il caresse les formes, dodues, leur mystère soulignant leur attrait. Le bois l’a toujours attiré, sans se donner la peine d’apprendre à le travailler. Une indicible espérance naitrait -elle en lui dans cet atelier de fortune ?
Les croquenots en travers, les traces de pas, la porte entrouverte, sur ses gardes, le propriétaire fait irruption. Devant le gaillard, il recule d’un pas de sabot. Les deux hommes se toisent, en apnée.
-Tes godillots là dehors ils auraient bien besoin d’être ravaudés, dis donc ! Tu n’es pas le premier à squatter ma vieille baraque, on en a l’habitude par ici des Compostelle, ils passent et repassent, jour après jour, marmonne -t- il en lui tendant une paire de lacets en cuir.
Le pèlerin observe cet homme à l’allure quasi sauvage revêtu d’une redingote pailletée d’un autre temps, avec un fouet de dompteur dans la main droite : serait- il le maitre de ces lieux ? Il ne comprend rien à sa langue. Il se crispe et sort en jurant, visiblement à cran. Les battements du coeur s’emballent, il se met à transpirer abondamment. Faut- il lui en dire davantage ? Il s’accroupit, et au doigt, sur la terre, esquisse un plan de route, en courbes, en zigzags, avec une ligne frontière, des montagnes, des barbelés, des ponts, les bombes. Ainsi en traçant ces hiéroglyphes au sol comme sur un parchemin, le voyageur n’en finit pas de se dévoiler et de livrer son funeste parcours. Il s’emporte même, allant jusqu’aux abords du ruisseau qu’il se met à laper comme un renard craignant d’être pris au piège ! Faut -il accepter qu’il n’y ait aucun refuge possible pour moi, souffre -t- il ? Dois- je vivre comme une bête traquée ? Parcourir la contrée sans trêve ni repos ?
Dans le clair-obscur surgit la bête. Il ne l’a pas vue venir ni sentie s’approcher du ruisseau. Une douleur aigue dans le mollet le fait trébucher et s’effondrer dans le fossé. Quelque chose parait, s’impose à lui, quelque chose d’impensable le saisit. Il se trouve pris. En arrêt. L’impossible est là. Réel. L’étranger se tient silencieux, les yeux clos. C’est alors que la bête bien dressée enfonce ses crocs dans la gorge du malheureux et d’un bond recouvre son corps. Lutter ne sert plus à rien. Consentir est la seule chose qui reste possible, la seule qui atténue la révolte et l’effroi. Personne pour recevoir la peur de l’étranger, il va seul, fauché par la douleur.
-C’est bien, aux pieds, Farouche, belle bête, va…dit le dresseur au bourreau en lui donnant un morceau de sucre. Je crois bien que celui-là n’en valait pas la peine. Pas d’argent, pas de papier, pas de médaille. Heureusement que je suis là pour lutter contre la racaille. Dompter les fauves dans un cirque ou limiter l’envahissement du pays par des gadjos sans foi ni loi, c’est du pareil au même ! En inscrivant inconnu à la 51ème ligne de mon cahier bleu, j’ai au moins rédigé son épitaphe. Il s’en tire déjà pas mal, cet étranger !