Sur le chemin
Sur le chemin de Mézilhac montait péniblement un petit âne sur lequel montait de temps en temps la mère tenant enveloppé un beau petit enfant tandis que le père dirigeait l’âne par la bride. Oui, aujourd’hui Fanchon peinait terriblement à la montée, ses sabots ripaient sur les pierres verglacées. La nuit avait été difficile. Et il avait fallu fuir, fuir la clameur du titan.
La mère si fatiguée avec l’enfant, cet enfant juste né au nouvel an. Le père n’y croyait plus à cette naissance. Par deux fois la mère a chuté, sur la dalle, sur le verglas. En cette nuit de l’an neuf, Fanchon a entendu pleurer la mère et vu le père fendre du bois sans discontinuer, à grands coups de hache. Et vlan, et vlan, comme un mugissement dans la vallée endormie ! Dans l’étable, la mère a sangloté, soupiré, le père a taillé, Fanchon s’est tenu éveillé et l’enfant est né, au sombre de la nuit sans étoile. Au petit matin glacé, Fanchon est sorti, fou de joie et s’est trémoussé sans faon en jetant des coups de galoche alentour. Mais sans tarder, le bestiau a dû accompagner la mère au lavoir gelé. Il a fissuré laborieusement l’épaisse couche de glace de ses sabots tranchants. Puiser l’eau sous la glace a anéanti la mère qui devait faire chauffer l’eau du premier bain de l’enfant-né, le nourrir l’a épuisée, ses reins endoloris brûlent son échine. L’enfant a tété sans même se réveiller, réchauffé par le souffle de l’âne attendri. Un silence hivernal entourait la maison. Le père et la mère ne se parlaient pas.
De son côté, lui, Gargantua l’a sentie venir de loin l’odeur des hommes de la vallée. Toute narine en alerte, il la guettait cette effluve humaine qu’il traçait jour et nuit selon son appétit. Il se mit en chemin avec frénésie. Ses pas gigantesques dominèrent la foret, les prés, la vallée, la rivière. Son puissant odorat le guida sans faillir. Qui pourrait vaincre ce colosse ? Qui se risquerait à mesurer sa force surhumaine? Aveuglé par la faim, il n’a pas vu les pointes fourchues des bras de fer s’insérer sous ses pattes crochues, il n’a pas vu non plus cette drôle de cage suspendue se refermer sur ses larges épaules. Prisonnier, il a tambouriné quand la girouette s’est abattue dans son dos. Incrédule, il a regardé s’enfoncer dans sa gorge la lance affutée de ce génie de fer. De tous côtés, il fut pris. Alors il s’est figé, ailes repliées, pattes ensanglantées, yeux révulsés. Il entendait sous lui couler les eaux de la rivière Loire, bourdonnement lancinant qui ne pansait en rien ses blessures. Immobilisé dans ce vide abyssal, le monstre poussa alors un cri bestial, déchirant !
Le père l’entendit cette effroyable clameur, toute la vallée en trembla : les rochers millénaires, la rivière tourmentée, les arbres enchevêtrés, l’étable, la mère et l’enfant, Fanchon atterré. S’ensuivit un silence de glace, un silence noir sans espoir, un silence qui sonnerait le glas. Le père décida de suite de quitter leur logis.
Pourtant, le lendemain du nouvel an, voilé ce que l’on a découvrit : pour calmer la soif de son agonie, Gargantua ou le dragon ailé descendit la vallée de la Loire et de la Veyradeyre et en but toute l’eau jusque près du lac d’Issarlès où sommeille une ville engloutie