Archives de l’auteur : Claire MARTIAL

Mythes et exploration personnelle

Mythes, légendes et contes se tricotent, s’articulent, s’entremêlent, se chevauchent, s’épaulent, se dispersent, se font écho, s’éparpillent, se distillent, s’émancipent. Ce sont les berceaux de notre littérature, les images de nos rêves, la musique de nos pas, les berceuses de notre enfance, les marmites de notre imaginaire, les épices de nos mets, les effluves de l’histoire humaine, la gloire et le ferment du partrimonie mondial culturel.

Elles nous accompagnent, indispensable vivier, à notre insu !

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Mythes et poésie

Icare envoûté

Icare aime le miel, le miel de sapin du Velay, son odeur de résine l’attire. Dès l’enfance, il se crée ainsi ses premières moustaches miellées qu’il pourlèche à satiété lorsqu’il s’échappe. Il pense à ses ailes tout le jour. Il emplit inlassablement sa boîte à trésors de monnaies du pape, fines, légères, transparentes. Assemblées en quinconce, telles des écailles de poisson, gainées de cire d’abeilles, elles formeraient des ailes, des voilures. Leur goût délicieux se confond à celui des hosties partagées au temple fait de minces lamelles de nougat et de genièvre, un régal, il ne peut s’en passer ! Elles seraient plumes de geai plantées dans une guimauve verte aux saveurs mentholées, ourlées de gelée à la verveine simple. Ainsi Icare a rêvé, imaginé et construit ses ailes libératrices et tout aussi défaillantes.

Ce premier envol d’Icare est lent, indécis, pataud. Il s’élance au-dessus des buis verdoyants à la senteur amère et enivrante, elle le suivra jusqu’à la mer. Le souffle du vent est chargé de fumet de poisson, de poussières de cendres étoilées, de particules de charbon brûlé, éclats de météorites échappées du Stromboli en colère, colère de Zeus. Au-dessus de la mer Egée, les effluves marines panachées aux exhalaisons du port du Pirée le captivent. Peu impressionné par les hautes vagues et ses embruns, Icare, escorté par son père, bat ses ailes majestueusement maintenant. Il se sent devenir si léger, zélé, sans réaliser qu’il est emporté dans un élan sans retour, sans mesure. Il vole ! Une fiente de goéland fétide le rappelle à l’ordre. Il ne doit pas s’essayer à voler plus haut, là est la limite, le repère que lui enseigna son père. Pas d’altitude !

Dans les airs, se sentira-t-il plus solide que sur terre ? Dans son élément ? Plus proche de l’astre solaire qu’il espère frôler à son zénith, se demande-t-il ? Sa mère lui répète souvent quand il évoque ses projets : ” Etre dans le vent , c’est une ambition de feuille morte” !  Mais connaît-elle la cime des arbres ? S’est-elle accrochée à la lune rousse ? A-t-elle déjà embrassé les étoiles ? Aurait-elle envisagé une seule fois de se suspendre à la queue d’une étoile filante ? Telle est l’ambition et l’audace d’Icare, fils de Dédale, pour s’affranchir : fendre les airs comme un oiseau!

Serait-il envoûté par le parfum volatile de l’absinthe enfoui dans sa besace ou enivré jusqu’à l’ivresse par le bercement de la brise ? Car sans aucune crainte, Icare l’exalté désobéit à son père et grisé par sa nouvelle puissance, poursuivit son envol, de plus en plus haut, à l’infini, sous l’incandescente voûte céleste, jusqu’à sa funeste chute dans l’écume de mer.

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Mythes et notre personnage

Petit Prince et la bête d’acier

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Il était une fois…un Petit Prince qui vivait sur une planète bleue, seul, enfin le croit-il ! Une étrange planète, minuscule, ondulée de terres et d’eaux bleues, enrubannée de fleurs bicolores au parfum de rose. Son modeste logis de roseaux et de chaume est une miniature, il y dort seulement. Petit Prince est curieux, aventurier, au pied droit récalcitrant, sauf quand il roule sur ses patins fluorescents. Son pas de patineur le conduit à belle allure par monts et par vaux. Continuer la lecture

Sur le rivage

Unique rescapée
Naufragée orpheline
Enivrée par le ressac

Bouteille millésimée
Ondinement ourlée
Ultimatum à l’encre bleue
Temps perdu
Echappée belle
Immortelle galérienne
Larguée par les flots
Loyale vagabonde
Ensommeillée sous le sable

Au secours ! Au large !

Larguée à l’abordage
Au-delà du bastingage
Messagère inconnue
Ecume de nos nuits et nos jours
Révélerais-tu les vagues de l’âme ?

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Mythes et révélation

L’apocalypse

La mort écartée
Regagner la liberté
Feu le ciel de feu

Mythes et légendes du Bouchet

Sur le chemin

Sur le chemin de Mézilhac montait péniblement un petit âne sur lequel montait de temps en temps la mère tenant enveloppé un beau petit enfant tandis que le père dirigeait l’âne par la bride. Oui, aujourd’hui Fanchon peinait terriblement à la montée, ses sabots ripaient sur les pierres verglacées. La nuit avait été difficile. Et il avait fallu fuir, fuir la clameur du titan.

La mère si fatiguée avec l’enfant, cet enfant juste né au nouvel an. Le père n’y croyait plus à cette naissance. Par deux fois la mère a chuté, sur la dalle, sur le verglas. En cette nuit de l’an neuf, Fanchon a entendu pleurer la mère et vu le père fendre du bois sans discontinuer, à grands coups de hache. Et vlan, et vlan, comme un mugissement dans la vallée endormie ! Dans l’étable, la mère a sangloté, soupiré, le père a taillé, Fanchon s’est tenu éveillé et l’enfant est né, au sombre de la nuit sans étoile. Au petit matin glacé, Fanchon est sorti, fou de joie et s’est trémoussé sans faon en jetant des coups de galoche alentour. Mais sans tarder, le bestiau a dû accompagner la mère au lavoir gelé. Il a fissuré laborieusement l’épaisse couche de glace de ses sabots tranchants. Puiser l’eau sous la glace a anéanti la mère qui devait faire chauffer l’eau du premier bain de l’enfant-né, le nourrir l’a épuisée, ses reins endoloris brûlent son échine. L’enfant a tété sans même se réveiller, réchauffé par le souffle de l’âne attendri. Un silence hivernal entourait la maison. Le père et la mère ne se parlaient pas.

 

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De son côté, lui, Gargantua l’a sentie venir de loin l’odeur des hommes de la vallée. Toute narine en alerte, il la guettait cette effluve humaine qu’il traçait jour et nuit selon son appétit. Il se mit en chemin avec frénésie. Ses pas gigantesques dominèrent la foret, les prés, la vallée, la rivière. Son puissant odorat le guida sans faillir. Qui pourrait vaincre ce colosse ? Qui se risquerait à mesurer sa force surhumaine? Aveuglé par la faim, il n’a pas vu les pointes fourchues des bras de fer s’insérer sous ses pattes crochues, il n’a pas vu non plus cette drôle de cage suspendue se refermer sur ses larges épaules. Prisonnier, il a tambouriné quand la girouette s’est abattue dans son dos. Incrédule, il a regardé s’enfoncer dans sa gorge la lance affutée de ce génie de fer. De tous côtés, il fut pris. Alors il s’est figé, ailes repliées, pattes ensanglantées, yeux révulsés. Il entendait sous lui couler les eaux de la rivière Loire, bourdonnement lancinant qui ne pansait en rien ses blessures. Immobilisé dans ce vide abyssal, le monstre poussa alors un cri bestial, déchirant !

Le père l’entendit cette effroyable clameur, toute la vallée en trembla : les rochers millénaires, la rivière tourmentée, les arbres enchevêtrés, l’étable, la mère et l’enfant, Fanchon atterré. S’ensuivit un silence de glace, un silence noir sans espoir, un silence qui sonnerait le glas. Le père décida de suite de quitter leur logis.
Pourtant, le lendemain du nouvel an, voilé ce que l’on a découvrit : pour calmer la soif de son agonie, Gargantua ou le dragon ailé descendit la vallée de la Loire et de la Veyradeyre et en but toute l’eau jusque près du lac d’Issarlès où sommeille une ville engloutie

 

Inconnu n°51

La chaleur est accablante. C’est midi au soleil. Il rêve d’eau, d’eau de source. Ses pieds s’échauffent dans ses chaussures montantes, pourtant dépourvues de lacets aujourd’hui. Va savoir pourquoi ! Pas d’arme, pas de bagage. Il va seul. Il porte sa vie. Il la porte clandestinement. Il marche depuis des jours pour échapper à la misère et à la guerre. Il est étranger à ce pays.

C’est le pommier qu’il découvre tout d’abord, pommes moisson, petites et rondes, rouge et jaune. En croquer quelques-unes. Puis le potager tout de vert : haricots en fleurs, branches charnues de rhubarbe, choux pommés, fanes de carottes, plants grimpants de tomates et de petits pois. En contrebas, le ruisseau gargouille entre les cailloux, s’étire et glisse dans une simple auge en pierre de lave qui dégouline. L’eau y est limpide. Il s’assoit au bord de cet abreuvoir, y plonge les mains d’abord : l’onde s’enroule sur les doigts, douce, fraîche. Il soupire d’aise. Enfin pieds nus, il pénètre dans le bac, s’y assoit et ne bouge plus. Sentir l’eau sur la peau, sur les chevilles, entre les orteils, sous la plante des pieds : de l’eau fraîche, seulement cela pour ses pieds enflés. Fragrance de l’eau glacée jusque dans ses narines, au bord de ses lèvres. Frisson dans tout le corps.
Le jardin s’étire sans bruit, à la limite des lieux habités. Il a de la chance, voilà le refuge ol la force de l’eau sur la pierre balaie la fatigue. Il ferme les yeux et laisse couler en lui les songes vagues et envahissants du grand chemin. Voyage à la lisière entre terre et eau. Quelque chose de sourd bat à l’intérieur de lui.
La porte en bois au fond du jardin claque dans le lointain, battement de tambour répétitif. La mélodie le berce jusqu’à presque la nuit tombante. Pourtant il faut bouger. Il traverse l’enclos à la clarté du soleil couchant, enveloppé d’un halo d’innocence, une surprenante perception. Les senteurs s’entremêlent. Il sent lui-même le poil mouillé. Il n’en revient pas du moelleux de la terre battue. Il s’étonne que ses pas laissent une empreinte sur la terre volcanique. Et il s’interroge car le large chemin qui, tout à l’heure, longeait le bord de l’eau s’en était maintenant franchement écarté et s’était changé en un sentier serpentant entre les buissons épineux. Fallait- il continuer ? Rebrousser chemin ?? Avant de retourner les murs comme une crêpe, le vent pourra repasser ? pense -t- il en s’acclimatant à l’obscurité de la baraque de planches et de torchis dans laquelle il pénètre. Fraîcheur et odeurs mêlées, la plus forte étant la basane musquée. La nature semble avoir repris ses droits dans l’étable abandonnée. Sur les murs lézardés, s’entrelacent toutes sortes de plantes grimpantes. Il pose sa casquette sur une malle rouillée. Il détaille les outils au sol : fourche, râteau, pelle, brouette, arrosoir, échelle. Sur les étagères rongées par le temps, il inventorie un sécateur, un plantoir, des boîtes d’engrais, des ficelles, un almanach et une boîte à sucres.
Il sent une torpeur l’envahir, lourde sur les épaules. Soulevant le couvercle de la malle cabossée, il aperçoit un cahier d’écolier à la couverture en kraft bleu ornée d’une étiquette blanche. Il ne sait pas lire, il ne sait pas écrire, même dans sa langue maternelle. Les larmes coulent sur l’encre bleue des mots écrits à la plume. Il ne retient plus ni la tristesse, ni la détresse. Une lassitude ancienne, si profonde : elle terrasse.
Une averse, un doux rythme nocturne, humide, familier, le temps s’écoule, haché. Dans l’épaisseur des ténèbres et du silence, on entend seulement la pluie qui redouble. Et c’est l’orage maintenant. Ca tambourine sur les lauzes du toit. Ca le berce. Serait -il en train de s’endormir ? Il dort si mal en temps ordinaire.
Un rayon de soleil pénètre dans la pièce dans laquelle il a dormi. Il s’éveille. En ce matin de septembre, la lumière de l’aube met tout en relief. Sur l’établi, parmi les objets à la fois éparpillés et classés, se détachent le marteau et l’enclume, et puis des ciseaux de toutes tailles, de fins couteaux, des fils de cuir, de lin, de chanvre, des aiguilles, des clous en cuivre. Il n’a jamais rien vu de pareil ! Avec prudence, il caresse les formes, dodues, leur mystère soulignant leur attrait. Le bois l’a toujours attiré, sans se donner la peine d’apprendre à le travailler. Une indicible espérance naitrait -elle en lui dans cet atelier de fortune ?
Les croquenots en travers, les traces de pas, la porte entrouverte, sur ses gardes, le propriétaire fait irruption. Devant le gaillard, il recule d’un pas de sabot. Les deux hommes se toisent, en apnée.
-Tes godillots là dehors ils auraient bien besoin d’être ravaudés, dis donc ! Tu n’es pas le premier à squatter ma vieille baraque, on en a l’habitude par ici des Compostelle, ils passent et repassent, jour après jour, marmonne -t- il en lui tendant une paire de lacets en cuir.
Le pèlerin observe cet homme à l’allure quasi sauvage revêtu d’une redingote pailletée d’un autre temps, avec un fouet de dompteur dans la main droite : serait- il le maitre de ces lieux ? Il ne comprend rien à sa langue. Il se crispe et sort en jurant, visiblement à cran. Les battements du coeur s’emballent, il se met à transpirer abondamment. Faut- il lui en dire davantage ? Il s’accroupit, et au doigt, sur la terre, esquisse un plan de route, en courbes, en zigzags, avec une ligne frontière, des montagnes, des barbelés, des ponts, les bombes. Ainsi en traçant ces hiéroglyphes au sol comme sur un parchemin, le voyageur n’en finit pas de se dévoiler et de livrer son funeste parcours. Il s’emporte même, allant jusqu’aux abords du ruisseau qu’il se met à laper comme un renard craignant d’être pris au piège ! Faut -il accepter qu’il n’y ait aucun refuge possible pour moi, souffre -t- il ? Dois- je vivre comme une bête traquée ? Parcourir la contrée sans trêve ni repos ?

Dans le clair-obscur surgit la bête. Il ne l’a pas vue venir ni sentie s’approcher du ruisseau. Une douleur aigue dans le mollet le fait trébucher et s’effondrer dans le fossé. Quelque chose parait, s’impose à lui, quelque chose d’impensable le saisit. Il se trouve pris. En arrêt. L’impossible est là. Réel. L’étranger se tient silencieux, les yeux clos. C’est alors que la bête bien dressée enfonce ses crocs dans la gorge du malheureux et d’un bond recouvre son corps. Lutter ne sert plus à rien. Consentir est la seule chose qui reste possible, la seule qui atténue la révolte et l’effroi. Personne pour recevoir la peur de l’étranger, il va seul, fauché par la douleur.
-C’est bien, aux pieds, Farouche, belle bête, va…dit le dresseur au bourreau en lui donnant un morceau de sucre. Je crois bien que celui-là n’en valait pas la peine. Pas d’argent, pas de papier, pas de médaille. Heureusement que je suis là pour lutter contre la racaille. Dompter les fauves dans un cirque ou limiter l’envahissement du pays par des gadjos sans foi ni loi, c’est du pareil au même ! En inscrivant inconnu à la 51ème ligne de mon cahier bleu, j’ai au moins rédigé son épitaphe. Il s’en tire déjà pas mal, cet étranger !