El Moussib n’nam

Il faut repartir. La piste somptueuse nous envoûte de nouveau: spectacle grandiose de dunes, de falaises lointaines aux couleurs changeantes suivant l’heure de la journée. Notre trajet se déroule sans encombre et comme pour prolonger encore ce moment hors du temps, l’un de nous propose un déour pour atteindre une oasis isolée, loin des chemins battus. Le groupe hésite à quitter l’itinéraire prévu, mais les arguments de l’aventurier en herbe emportent la décision.

La piste qui mène à El Moussib n’nam est très accidentée et le dénivelé est important. Par moments, pour franchir, dans les pentes, des creux et des bosses semblables à des marches, nous devons soulever les véhicules à la force des bras.

El Moussib n’nam, lieu sec, ingrat, aride. Quelques cases se groupent dans la poussière autour d’arbres chétifs. Un homme du village nous emmène à l’écart du village et stupéfaits, nous découvrons une retenue d’eau, une guelta[1]. Mais c’est une guelta de grande dimension, composée de plusieurs retenues, creusées dans la roche de couleur ocre rouge..

L’eau d’un vert émeraude est profonde, assez profonde pour s’y baigner.

Comment expliquer la présence d’une telle étendue d’eau dans ce lieu aux températures caniculaires de mars à octobre ? Encore plus surprenant: notre guide évoque la présence de crocodiles. Légende ou réalité? Les ardeurs des baigneurs se calment soudainement.

La chaleur, le silence, l’isolement m’oppressent. Je songe aux habitants d’El Moussib n’nam, isolés, abandonnés. Qui s’intéresse à leur sort ?

L’heure tourne et il nous faut rejoindre la piste principale avant la tombée de la nuit. Nos trois voitures quittent ce village fantomatique. Il faut pousser les véhicules, la peur au ventre, la peur qu’un cardan pète , la peur de rester bloqués dans cette vallée quasi maudite.

Derrière nous, nous laissons des hommes, des femmes, des enfants, nous les laissons à leur misère, à leur désarroi, à leur vie sans espoir.

Nous nous échappons comme des voleurs, comme des traîtres, nous nous échappons da��El Moussib n’nam, village perdu, surchauffé, oublié.

Et je m’interroge : pourquoi sommes-nous venus jusqu’ici ? Quel désir un peu malsain, voyeurisme peut-être, goût de l’exploit certainement, nous a poussés à ce détour périlleux?

Jusqu’alors, dans cette expédition, notre premier souci était la maîtrise de l’imprévu, de l’approximatif, et cela me convenait. Il a suffi du défi un peu fou de l’un d’entre nous pour nous mettre tous en danger.

[1]Guelta: plan d’eau temporaire ou pérenne, sans écoulement apparent.

Si la matière grise était rose, on aurait moins les idées noires.

Mais elle est bien rose, notre matière grise. Dans notre citrouille, je vois une jolie cervelle rose nacrée, de la couleur de celles que j’aime manger, bien dorées dans leur robe de farine. Jolie cervelle rose nacré que découpe le scalpel du laborantin. Va-t-il trouver dans ses circonvolutions des pensées mauves, des pages blanches ou bien une ribambelle de synapses argentées s’accrochant les unes aux autres, en rangs serrés pour établir de nouvelles connexions arc-en-ciel?

Au lieu de broyer du noir, de noircir le trait ou le tableau, nous verrons la vie en rose ou bien en fuchshia, ou en hortensia. 

Dans le noir, toutes les couleurs s’accordent

Soulages

 

Quand se fait le noir, sous ses yeux bandés, odeurs et sons
arrivent en vrac, rien ne s’accorde. Arômes fleuries ou vanillées, fumets poivrés, effluves chocolatées, senteur balsamique, sauces musquées ou piquantes. Surgissent des notes cristallines, de la musique andalouse, une mélodie tzigane, une voix d’opéra. Nuit noire, cocktail de saveurs, de teintes et de notes, palette olfactive, émulsion musicale, gamme aromatique, qui l’emporte ?

 

Soulages

? Dans le noir toutes les couleurs s’accordent  mais qu’en est-il de la sensualité si subtile du noir, volatile, fragile ? La couleur noire nous dévoilera-t-elle sa gamme de nuances ? Serait-elle un écrin où se fondent les coloris, où s’assemblent les pigments, où se
dissimulent les nuances, où toute autre couleur disparaîtrait
à jamais ? 

Le Râdome

Au cœur de la ville, près du fleuve Rhône, s’est posé un dôme, blanc, monumental, sur la grande place il en impose.

Longer le Râdome par un chemin de bois, marcher, entendre la ville et soudain être invitée par le son des vibrations musicales.

Échappées du dôme, entrer sous la coupole, s’asseoir au bord d’un bassin aquatique aux eaux bleues, s’étonner, regarder circuler les notes de musiques déposées à fleur d’eau, elles carillonnent, elles se déplacent et s’entrechoquent au gré de leur croisement, elles flottent…coupes de porcelaine blanche, unies par des sons, dispersées par des ondulations aquatiques.

Je savoure la valse de ces mélodies de bohème aux résonances cristallines. 

La vie idéale

Grand-mère serait là, le cheval aussi
Courent les poules grognent les cochons
Du pigeonnier volent les tourterelles
Des arbres du silence et un puits.

Grand-père au champ près de sa vigne
Des hirondelles sous les poutrelles
Vaches en prairie le lait dans l’écuelle
Au soleil couchant un vol de cygnes. 

Un roc

Massemblumoi reste perché sur un roc brun dominant l’anse Blionassemu, village en bord de mer, abandonné, où seul vit encore un ermite. Les rues pavées ne longent que des maisons de pierre effondrées aux toits béants. La chapelle romane plutôt bien conservée domine, refuge des rapaces des pigeons voyageurs et des mulots. La bergerie de l’ermite, à l’écart du bourg, attire par son abreuvoir d’eau fraîche. La montagne n’est pas loin.

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Pierres

Ils ont ramassé des pierres, des grosses, des rondes, des tranchantes.

Le lac gelé est gris bleu, patiné. Un silence de glace flotte à sa surface, un silence irisé.

La première pierre est jetée, elle ricoche, roule et glisse jusqu’à la rive végétale. Le silence rebondit.

La seconde pierre claque et tremble sur la glace, tranchante elle s’immobilise. Le silence se fend.

La troisième attire les lumières du soleil couchant, elle brille et flotte dans l’air, au ras de l’eau, avant de venir s’écraser et éclater la croûte glacée qui s’étoile en cristaux. Le silence éclabousse.

Entièrement nu Pierre escalade le promontoire. A ces pieds, le lac figé est un mur, un rempart pour lui, chevalier des eaux sombres, prince des ténèbres. Aveuglé par les reflets argentés, il est hypnotisé. Un silence de plomb couvre la vallée. Pierre ouvre les bras, son regard se perd au lointain, longtemps… Il se tourne vers eux, enfin, s’agenouille et dans un jet de larmes murmuré : ça ne sert à rien ! 

Dire la nuit

Un peu de nuit pleure doucement dans les cils d’un pinceau, elle s’étale délicatement en arrondi, repli de nuit, comme des promontoires flottant dans une mare grisonnante, dans une immense tâche délimitée par des murs invisibles, posée sur le blanc de la feuille , blanc d’un silence aveuglé.

La nuit se dit dans cet espace opaque, presque lisse. Elle s’impose avec d’imperceptibles nuances, elle s’étale aux yeux de tous, naturellement sombre, liquide. La nuit se boit, s’absorbe et se répand.

Un appel, une évidence, impossible d’y échapper.

Omansemlimsub

Omansemlimsub est un territoire de la chaîne himalayenne, perchée à 7.000 mètres d’altitude où ne vivent que des androgynes de trente ans d’âge. Ils ne vieillissent jamais. Ils ont la peau bleue et les fesses roses car ils se nourrissent en été que de mures, de myrtilles et d’une espèce de carottes endémiques aux racines profondes. La contrée est recouverte de neige six mois par an. Continuer la lecture

Chroniques beaujolaises

Je n’ai jamais su si je devais aimer le vin, me laisser dominer par lui ou le fuir comme un ennemi.

Mon grand-père maternel était représentant en vins et spiritueux. Mon oncle par alliance et son frère usinaient tous les robinets et la fonte pour les cuves à vin. Ma grand-mère maternelle tenait un commerce d’ustensiles de cuisine et de services de tables. Elle louait de la vaisselle aux vendangeuses pour les repas des vignerons et les fêtes de vendanges. Continuer la lecture