Consigne d’écriture : on parle aux objets, un objet que j’ai depuis longtemps, je dois me débarrasser de lui, écrire un monologue.
A toi horloge vagabonde,
Au moment de nous quitter, je tiens à te dire combien tu comptes pour moi, pour nous. Au cœur de notre maison, tu as su trouver ta place.Tu tic-tac tout au long du jour et de la nuit, tu égrènes les heures et les demies. A ta manière, sans flonflon, tu rythmes nos vies. Ton murmure discret est notre tempo et nous te réservons une oreille bienveillante rien que pour toi, mine de rien ! Aujourd’hui pourtant nos vies se séparent. Tu viens d’être choisie pour l’autre maison, celle de l’horloger de la famille qui sait d’instinct mettre les pendules à l’heure !
Je t’ai aimée dès que je t’ai aperçue au milieu de toutes les antiquités de la vente aux enchères. Ta silhouette élégante dépassait aisément du lot de commodes, bahuts, bonnetières et autres tables et bancs. Dressée, la tête bien faite, la taille fine, les hanches arrondies, tu présentais tout à fait bien ce dimanche-là. Unique, royale, ta présence devenait indiscutable. Alors nous t’avons élue ce jour-là et gagnée. Peut-on oublier notre voyage en charrette pour rejoindre la maison du Pontey ? Nous rêveurs, assis devant côte à côte sur la banquette en cuir usagé, et toi derrière, allongée sur le flanc, assoupie tout contre le porte- manteau, enroulée dans une série d’édredons en satin de toutes les couleurs, le cheval trottinant au soleil couchant, le clap clap de son pas orchestrant notre silence de joie de t’emporter vers de nouvelles aventures. Dès lors tu nous es devenue indispensable !
A l’aide de la petite clé dorée, j’aime ouvrir délicatement la porte de ton balancier qui se remet alors en mouvement, en le poussant juste du doigt. De là, il se balance inlassablement en un mouvement régulier et musical. La clé argentée, plus technique, nous permet de remonter ton mécanisme, celui du cœur et du cerveau. Il déclenche un tintinnabule cadencé, ta mélodie, celle du temps qui passe, et tout cela grâce aux réglages précis, habiles et réguliers de l’horloger qui te connait bien, te bichonne et ne t’oublie jamais. Tu seras bien traitée près de lui, bien huilée et en sécurité.
Ainsi tu es irremplaçable puisque unique, tu es inégalable puisque parfaite. Ta musicalité au timbre bressan a bercé nos cœurs, ensemble. Je ne pourrai l’oublier et je ne le veux pas.Te remplacer ? Un réveil par exemple ? Oh non, son tic-tac à lui seul n’est qu’un réveil matin ! Un carillon ? Trop bruyant, indiscret ! Un coucou ? Peut-être, qui sait !
Alors en ces derniers instants qui nous sont permis d’être ensemble, blottie contre ta peau douce satinée cuivrée aux senteurs d’ambre et de musc, je vais te donner une accolade, l’accolade de la séparation, de l’au revoir, oui seulement un au revoir, car je sais que tu restes dans la famille, tu vas continuer à voir grandir nos enfants et tu verras naître nos petits-enfants. Tu es pérenne, tu as porté et porteras encore les aléas de la vie, tu es notre gardienne du temps, d’un temps passé, présent et à venir. Tu disparais à mes yeux mais tu resteras dans mon cœur, pour toujours.
P.S : j’ai caché un coquillage corse œil de Sainte Lucie derrière ton mécanisme, prends en soin s’il te plaît en pensant à moi et merci pour tout.