Archives de catégorie : MARIE NOELLE

Regroupement de tous les textes de Marino

Pêche miraculeuse

Ali Ben Saïd à force de persévérance, de diplomatie, de coups bas et d’absence de scrupules était devenu Directeur Général de la Compagnie de l’Eau Bleue. C’est lui qui devait mettre en place le gigantesque chantier du barrage d’Assouan, le futur barrage Nasser. Les oppositions à ce projet étaient fortes. Celle des fellahs craignant à juste titre que le limon du fleuve ne fertilise plus leurs champs. Fixer les fonds sableux jusqu’alors toujours en mouvement n’aurait-il pas des conséquences dramatiques ? Et aussi l’opposition des traditionnalistes qui s’indignaient : « Comment pouvez domestiquer le Nil, notre fleuve sacré ? Comment pouvez-vous au nom du progrès, imposer à la nature un nouvel ordre que vous ne maîtrisez pas ? » Continuer la lecture

Sur mon bras, a valsé.

C’était à Masclaux en juillet dernier, lors d’une réunion de poètes. Après les mots, la musique. La belle duchesse aux yeux couleur de nuit a valsé à mon bras. Notre galop sautillant nous entraîna dans le cercle de la vaste salle. L’air qui passait par les fenêtres sans vitres ravivait notre force et nous scandions le rythme, emporté par ce sport entraînant. Bientôt, trop échauffés, nous ressentîmes tous deux l’appel à nager. Un bain ! Il nous fallait un bain ! Elle me prit par la main et tels des personnages romanesques nous franchîmes la barre qui fermait le clos de Masclaux. Grâce à elle, je découvris dans un écrin de verdure une vasque d’eau pure, cadeau de ce petit Lignon, cher à Honoré d’Urfé.

Jeu loufoque

C’était à Barcelone.
Elle s’appelait goélette.
Elle était danseuse étoile.
Elle rêvait de s’embarquer
sur un transatlantique.
Pour danser à Broadway.
Mais elle était amoureuse
D’un dur, un vrai ouvrier
A la sauce soviétique.
Il s’appelait cure-dents
Il n’aimait que ses clés à mollette
Et les mécanismes géants
Des usines infernales.
Goélette a dansé sur la clé à mollette
Et le sextant géant.
Alors le métallo a construit
pour sa danseuse étoile
Un bateau à vapeur
Aux rouages compliqués
Elle tournait, tournait
Sur la roue à aube
Et lui, il ajustait, ajustait
la machinerie de cet engin prodigieux.

L’enfant et la mer

L’âme de l’enfant au bord des cils
Le regard émerveillé.
Elle observe la caresse des vagues sur la plage, les scintillements mêlés du sable et de l’eau.
Sa peau est dorée comme à la fin de l’été. Ses cheveux blonds sont secs et décolorés, ses lèvres fendillées par la chaleur et le vent. Elle est rassasiée d’air marin, d’air iodé, comme écœurée de l’odeur des algues.
Elle court nue et saute chaque vaguelette en criant de joie.
Le temps est arrêté. Les jours s’écoulent au rythme de la nage.
 
Mais les flots et le vent se lèvent. Ils se lèvent avec leurs armes menaçantes. Ils dévastent la plage, ils écroulent la digue. Radieuses, la mère et l’enfant admirent le spectacle triomphant de la nature déchaînée. L’enfant se poste face au vent, les bras écartés, tel un oiseau, et  teste sa force contre lui. Elle lèche les embruns qui éclaboussent son visage. Elle s’étonne du ronflement puissant des rouleaux.

Elles avaient pourtant senti venir les prémisses de la tempête : un ciel moins limpide, une mer trop calme, étale et lourde.
-Viens, rentrons, dit l’adulte. C’est la fin de l’été.
Le portable sonne, les conversations automnales reprennent.
L’enfant ferme les yeux, se bouche les oreilles, se recroqueville et enferme dans sa main ses trésors de l’été : un grain de sable, une paillette de soleil, un fragment d’algues et le murmure de la mer.

La vie idéale

J’aimerais habiter
Une maison aimée
La maison de l’enfance
La maison des vacances

Bord de l’eau, bord de mer
Loin des chagrins amers
Les rires des enfants
Remonteraient le temps

Musiques et chansons
Quelques bons compagnons
Amis, frères et soeurs
Sucre, sel et odeurs

Le soir, les yeux au ciel
Tous nous regarderions
Grande Ourse et Orion
Et Vénus la plus belle

El Moussib n’nam

Il faut repartir. La piste somptueuse nous envoûte de nouveau: spectacle grandiose de dunes, de falaises lointaines aux couleurs changeantes suivant l’heure de la journée. Notre trajet se déroule sans encombre et comme pour prolonger encore ce moment hors du temps, l’un de nous propose un déour pour atteindre une oasis isolée, loin des chemins battus. Le groupe hésite à quitter l’itinéraire prévu, mais les arguments de l’aventurier en herbe emportent la décision.

La piste qui mène à El Moussib n’nam est très accidentée et le dénivelé est important. Par moments, pour franchir, dans les pentes, des creux et des bosses semblables à des marches, nous devons soulever les véhicules à la force des bras.

El Moussib n’nam, lieu sec, ingrat, aride. Quelques cases se groupent dans la poussière autour d’arbres chétifs. Un homme du village nous emmène à l’écart du village et stupéfaits, nous découvrons une retenue d’eau, une guelta[1]. Mais c’est une guelta de grande dimension, composée de plusieurs retenues, creusées dans la roche de couleur ocre rouge..

L’eau d’un vert émeraude est profonde, assez profonde pour s’y baigner.

Comment expliquer la présence d’une telle étendue d’eau dans ce lieu aux températures caniculaires de mars à octobre ? Encore plus surprenant: notre guide évoque la présence de crocodiles. Légende ou réalité? Les ardeurs des baigneurs se calment soudainement.

La chaleur, le silence, l’isolement m’oppressent. Je songe aux habitants d’El Moussib n’nam, isolés, abandonnés. Qui s’intéresse à leur sort ?

L’heure tourne et il nous faut rejoindre la piste principale avant la tombée de la nuit. Nos trois voitures quittent ce village fantomatique. Il faut pousser les véhicules, la peur au ventre, la peur qu’un cardan pète , la peur de rester bloqués dans cette vallée quasi maudite.

Derrière nous, nous laissons des hommes, des femmes, des enfants, nous les laissons à leur misère, à leur désarroi, à leur vie sans espoir.

Nous nous échappons comme des voleurs, comme des traîtres, nous nous échappons da��El Moussib n’nam, village perdu, surchauffé, oublié.

Et je m’interroge : pourquoi sommes-nous venus jusqu’ici ? Quel désir un peu malsain, voyeurisme peut-être, goût de l’exploit certainement, nous a poussés à ce détour périlleux?

Jusqu’alors, dans cette expédition, notre premier souci était la maîtrise de l’imprévu, de l’approximatif, et cela me convenait. Il a suffi du défi un peu fou de l’un d’entre nous pour nous mettre tous en danger.

[1]Guelta: plan d’eau temporaire ou pérenne, sans écoulement apparent.

Si la matière grise était rose, on aurait moins les idées noires.

Mais elle est bien rose, notre matière grise. Dans notre citrouille, je vois une jolie cervelle rose nacrée, de la couleur de celles que j’aime manger, bien dorées dans leur robe de farine. Jolie cervelle rose nacré que découpe le scalpel du laborantin. Va-t-il trouver dans ses circonvolutions des pensées mauves, des pages blanches ou bien une ribambelle de synapses argentées s’accrochant les unes aux autres, en rangs serrés pour établir de nouvelles connexions arc-en-ciel?

Au lieu de broyer du noir, de noircir le trait ou le tableau, nous verrons la vie en rose ou bien en fuchshia, ou en hortensia. 

Poème de bric et de broc

La librairie de Sidi Bel Abbès

Notre présence ne les gène pas le moins du monde, eux ces algériens qui rebâtissent leur pays sur des cendres. Ce pays immense, quatre fois la France, vidé de deux millions de “pieds noirs”. Dans chaque ville, chaque village, tout est à réorganiser après le départ des français. Plus personne aux manettes.

Des jeunes, partout, qui oeuvrent pour faire tourner la société civile : jeunes cadres, issus des “moudj’hidines”, diplômés frais émoulus d’une université balbutiante, jeunes coopérants étrangers.

Les pays européens, la Russie, les états arabes, l’Amérique du Nord veulent placer leurs pions, jouer leur chance dans cette économie naissante. Toutes ces puissances lorgnent sur la richesse phénoménale du Sahara: le pétrole.

Dans la Wilaya d’Oran, à Sidi Bel Abbès, petite ville provinciale, tout ce monde se cA?toie sans se gA?ner. N’oublions pas les français nés ici, qui sont restés après l’Indépendance. Ils avaient soutenu le FLN (Front de Libération Nationale). Ils avaient pris le parti des algériens, mais dans quelles conditions, avec quelles pressions, à travers quels drames? Ils vivent sur la terre ou ils sont nés, acceptés par la population et les autorités. Parmi eux, un médecin, un couple d’instituteurs, des libraires.

La librairie est superbement située sur la place centrale, face aux palmiers et au kiosque à musique, au cœur de la vie alanguie de Bel Abbès. Je m’approche de la devanture mais la vitrine est pratiquement vide. Je pousse la porte. Deux dames avenantes et rondelettes m’accueillent. Ce sont les sœurs Meneaux. Mon regard ne peut se détourner des rayonnages ou de rares volumes essaient d’occuper l’espace. Longues étagères blanches en formica, propres, nettes. Je les imagine “du temps e la France”, chargées des mêmes livres que chez Flammarion à Lyon. Quel choc! N’avoir que le strict minimum dans les magasins de première nécessité, pourquoi pas, je peux le comprendre. Mais dans cette librairie sans substance, vide, comme désœuvrée, je me sens mal.

Les soeurs Meneaux semblent deviner mon désarroi.

– Vous êtes professeur?
-Oui, professeur de français au lycée en Nadjah. Si je comprends bien, il me sera difficile de m’approvisionner chez vous.
-Et oui, malheureusement. Vous savez, les importations sont soumises à la censure et, de toute façon, les devises manquent. Les imprimeurs nationaux peinent déjà à alimenter les écoles en manuels scolaires, alors vous pensez, la littérature, les sciences sociales!

Les deux libraires semblent prendre la situation avec philosophie, fières simplement d’ètre encore là, d’avoir gardé leur boutique et de continuer à porter le flambeau.

Tous les auteurs que j’aime, que je veux faire connaitre, me faudra-t-il vraiment les rapporter à chaque voyage dans mes valises?