Mythes et contes

Sauge qui peut !

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Près du Rocher de la Dame de la Chaise, les fées de la grotte s’exclament : ” Ne trahissez pas les secrets de la sauge. ” En urgence, d’autorité, Georgia la fée supérieure a convoqué son assemblée. La peste sévit en pays d’Oc et gagne du terrain dans la vallée. Il faut agir.
Leurs paniers débordent de sauge odorante fraîchement cueillie. Les fées connaissent les clairières reculées où pousse à profusion la plante médicinale. L’alambic s’installe dans la grotte secrète et bouillonne jour et nuit. Les cueilleuses connaissent depuis toujours la posologie de ce remède bienfaiteur qui enraye la fièvre et soulage la douleur, selon le dosage. Mais combien de temps encore le secret des pouvoirs physiothérapiques de la sauge sera-t-il sauvegardé en priorité les enfants et les femmes enceintes. Les corps affaiblis sont enduits d’huile de sauge. Dévorés par le feu des pustules, les malades brament de misère bien que soulagés. Fâcheuse potion !
L’abbé Fragonard est mis à contribution, il prie le jour, bénit la nuit, pratique l’extrême onction sans délai, à tel point que l’eau bénite vient à manquer. L’église se vide, plus de cierge à brûler ! Il en oublie même de sonner le glas et l’angélus.
Aucun son ne sort plus de la bouche des ultimes survivants lors des cérémonies d’inhumation, pas de sépultures.
Au château, le seigneur Georges du Monastier est dépassé par l’ampleur des événements. Il ne décolère pas et peste contre toutes ces soi-disantes bonnes fées ! Arbitrairement il ordonne d’emprisonner dans sa bastide quelques jeunes guérisseuses qu’il juge empoisonneuses car selon lui la peste ne recule nullement, pas même dans sa forteresse, et il veut voir tout cela de plus près !
Sire Martin voyageait sur la route des épices quand il traverse la vallée. En quête de nouvelle recette d’onguent, il vient à la recherche des plantes renommées du Velay : le pin sylvestre et la verveine. Leur notoriété dépasse la vallée ! Il décide de s’installer à l’auberge forestière. Sans tarder, il débute la récolte de sève de pins, de pignons et d’épines de pins, qu’il broie jusqu‘à  la poudre. Et voilà sa recette miracle : 10 grammes de poudre verte de pin ajoutés à trois gouttes d’huile essentielle de myrte rapportée d’Orient. Constatant l’ampleur de l’épidémie de peste, il s’improvise soignant, bien qu’il se dégage de lui une certaine étrangeté. Sa cape sans doute dont il ne se sépare jamais ! Un défilé ininterrompu de malades s’égrène sur la route forestière. Sire Martin réussit à soulager mais hélas ne guérit personne ! On peut imaginer depuis ces temps-là que l’odeur puissante d’huile essentielle de sauge de la bande à Georgia s’accorde à la fringance des huiles essentielles de pin sylvestre et de myrte rapportée d’orient par sire Martin, pour le meilleur et pour le pire !

La vallée auvergnate vit ce chaos dans un silence rompu par le crissement des roues de charrettes transportant les défunts au crématorium, près des douves du château de Monastier. Au Rocher de la dame de la Chaise, le rapt des cueilleuses de sauge se fait sentir et ralentit considérablement la production d’huile miraculeuse. Georgia est dans tous ses états. D’autant qu’au milieu de la cour du château, le seigneur a réussi à dresser en grand secret son propre alambic, espérant obtenir une première cuvée distillée, la fée Georgia  décrète sur le champ l’état d’urgence absolu et le fait savoir. Elle connaît bien ses comparses herboristes, elle doit leur laisser du temps, le temps nécessaire à l’empoisonnement des habitants du château, car tel fut son commandement et son enseignement de la sauge en cas d’alerte. Tous, à petits feux, devront y passer. C’est à ce prix qu’elle vaincra la toute-puissance du seigneur. Le temps ne compte plus, et rien ne compte plus pour elle, seul garder le secret, le secret de la sauge, de ses bienfaits et de ses méfaits. Puisse-t-elle réhabiliter le savoir d’exception de la médecine par signature des fées du Velay !