Archives de l’auteur : Marie Noelle EPELLY

La vie idéale

J’aimerais habiter
Une maison aimée
La maison de l’enfance
La maison des vacances

Bord de l’eau, bord de mer
Loin des chagrins amers
Les rires des enfants
Remonteraient le temps

Musiques et chansons
Quelques bons compagnons
Amis, frères et soeurs
Sucre, sel et odeurs

Le soir, les yeux au ciel
Tous nous regarderions
Grande Ourse et Orion
Et Vénus la plus belle

El Moussib n’nam

Il faut repartir. La piste somptueuse nous envoûte de nouveau: spectacle grandiose de dunes, de falaises lointaines aux couleurs changeantes suivant l’heure de la journée. Notre trajet se déroule sans encombre et comme pour prolonger encore ce moment hors du temps, l’un de nous propose un déour pour atteindre une oasis isolée, loin des chemins battus. Le groupe hésite à quitter l’itinéraire prévu, mais les arguments de l’aventurier en herbe emportent la décision.

La piste qui mène à El Moussib n’nam est très accidentée et le dénivelé est important. Par moments, pour franchir, dans les pentes, des creux et des bosses semblables à des marches, nous devons soulever les véhicules à la force des bras.

El Moussib n’nam, lieu sec, ingrat, aride. Quelques cases se groupent dans la poussière autour d’arbres chétifs. Un homme du village nous emmène à l’écart du village et stupéfaits, nous découvrons une retenue d’eau, une guelta[1]. Mais c’est une guelta de grande dimension, composée de plusieurs retenues, creusées dans la roche de couleur ocre rouge..

L’eau d’un vert émeraude est profonde, assez profonde pour s’y baigner.

Comment expliquer la présence d’une telle étendue d’eau dans ce lieu aux températures caniculaires de mars à octobre ? Encore plus surprenant: notre guide évoque la présence de crocodiles. Légende ou réalité? Les ardeurs des baigneurs se calment soudainement.

La chaleur, le silence, l’isolement m’oppressent. Je songe aux habitants d’El Moussib n’nam, isolés, abandonnés. Qui s’intéresse à leur sort ?

L’heure tourne et il nous faut rejoindre la piste principale avant la tombée de la nuit. Nos trois voitures quittent ce village fantomatique. Il faut pousser les véhicules, la peur au ventre, la peur qu’un cardan pète , la peur de rester bloqués dans cette vallée quasi maudite.

Derrière nous, nous laissons des hommes, des femmes, des enfants, nous les laissons à leur misère, à leur désarroi, à leur vie sans espoir.

Nous nous échappons comme des voleurs, comme des traîtres, nous nous échappons da��El Moussib n’nam, village perdu, surchauffé, oublié.

Et je m’interroge : pourquoi sommes-nous venus jusqu’ici ? Quel désir un peu malsain, voyeurisme peut-être, goût de l’exploit certainement, nous a poussés à ce détour périlleux?

Jusqu’alors, dans cette expédition, notre premier souci était la maîtrise de l’imprévu, de l’approximatif, et cela me convenait. Il a suffi du défi un peu fou de l’un d’entre nous pour nous mettre tous en danger.

[1]Guelta: plan d’eau temporaire ou pérenne, sans écoulement apparent.

Si la matière grise était rose, on aurait moins les idées noires.

Mais elle est bien rose, notre matière grise. Dans notre citrouille, je vois une jolie cervelle rose nacrée, de la couleur de celles que j’aime manger, bien dorées dans leur robe de farine. Jolie cervelle rose nacré que découpe le scalpel du laborantin. Va-t-il trouver dans ses circonvolutions des pensées mauves, des pages blanches ou bien une ribambelle de synapses argentées s’accrochant les unes aux autres, en rangs serrés pour établir de nouvelles connexions arc-en-ciel?

Au lieu de broyer du noir, de noircir le trait ou le tableau, nous verrons la vie en rose ou bien en fuchshia, ou en hortensia. 

Poème de bric et de broc

La librairie de Sidi Bel Abbès

Notre présence ne les gène pas le moins du monde, eux ces algériens qui rebâtissent leur pays sur des cendres. Ce pays immense, quatre fois la France, vidé de deux millions de “pieds noirs”. Dans chaque ville, chaque village, tout est à réorganiser après le départ des français. Plus personne aux manettes.

Des jeunes, partout, qui oeuvrent pour faire tourner la société civile : jeunes cadres, issus des “moudj’hidines”, diplômés frais émoulus d’une université balbutiante, jeunes coopérants étrangers.

Les pays européens, la Russie, les états arabes, l’Amérique du Nord veulent placer leurs pions, jouer leur chance dans cette économie naissante. Toutes ces puissances lorgnent sur la richesse phénoménale du Sahara: le pétrole.

Dans la Wilaya d’Oran, à Sidi Bel Abbès, petite ville provinciale, tout ce monde se cA?toie sans se gA?ner. N’oublions pas les français nés ici, qui sont restés après l’Indépendance. Ils avaient soutenu le FLN (Front de Libération Nationale). Ils avaient pris le parti des algériens, mais dans quelles conditions, avec quelles pressions, à travers quels drames? Ils vivent sur la terre ou ils sont nés, acceptés par la population et les autorités. Parmi eux, un médecin, un couple d’instituteurs, des libraires.

La librairie est superbement située sur la place centrale, face aux palmiers et au kiosque à musique, au cœur de la vie alanguie de Bel Abbès. Je m’approche de la devanture mais la vitrine est pratiquement vide. Je pousse la porte. Deux dames avenantes et rondelettes m’accueillent. Ce sont les sœurs Meneaux. Mon regard ne peut se détourner des rayonnages ou de rares volumes essaient d’occuper l’espace. Longues étagères blanches en formica, propres, nettes. Je les imagine “du temps e la France”, chargées des mêmes livres que chez Flammarion à Lyon. Quel choc! N’avoir que le strict minimum dans les magasins de première nécessité, pourquoi pas, je peux le comprendre. Mais dans cette librairie sans substance, vide, comme désœuvrée, je me sens mal.

Les soeurs Meneaux semblent deviner mon désarroi.

– Vous êtes professeur?
-Oui, professeur de français au lycée en Nadjah. Si je comprends bien, il me sera difficile de m’approvisionner chez vous.
-Et oui, malheureusement. Vous savez, les importations sont soumises à la censure et, de toute façon, les devises manquent. Les imprimeurs nationaux peinent déjà à alimenter les écoles en manuels scolaires, alors vous pensez, la littérature, les sciences sociales!

Les deux libraires semblent prendre la situation avec philosophie, fières simplement d’ètre encore là, d’avoir gardé leur boutique et de continuer à porter le flambeau.

Tous les auteurs que j’aime, que je veux faire connaitre, me faudra-t-il vraiment les rapporter à chaque voyage dans mes valises?

Mythe et arts plastiques

Il est possible que je vous semble double, mais il n’en est rien. Je me sens bien comme ça. Parfois gringalette, maniaque et obsessionnelle, ligotée par mes attaches, mes rites, mes peurs. Parfois Goliath au cœur tendre, sauveur de l’opprimé, secours du faible. Femme, homme, qui le sait ? Cependant, il n’est pas certain que je ne devienne pas une autre, la triplée en train de naitre, mais laquelle ? Continuer la lecture

L’eau symbole

Bruit de l’eau sans discontinuité. Jaillissement et vrombissement perpétuels. Du feu, a jailli l’eau. Du sombre, jaillit l’argent. Le vert et le roux des arbres au printemps adoucissent la dureté du noir et du blanc. Les réseaux des branches d’arbres, le tacheté des feuilles, toute cette masse végétale complexe s’oppose aux lignes sévères de l’eau et du basalte.

Le ciel est nuageux. Sur les versants de la montagne, le soleil se déplace par taches. Il navigue, remonte, épouse les courbes, révèle les nuances. L’homme se nourrit de cette nature volcanique ou l’abondance de l’eau et du végétal le surprend chaque jour. Son regard se pose sur une carte postale punaisée sur le mur ou est inscrite une maxime :
Au bout de la pluie, il y a la mer.

Jusqu’à présent, il n’y avait guère prêté attention, encore sous le choc des événements. Six mois auparavant, en été 1992, il avait emménagé dans cette ferme cévenole. Il fuyait Béchar, chassé par la terreur qui minait l’Algérie. Des amis français l’avaient aidé, lui avait prêté leur résidence de vacances. Aussitôt, il avait été séduit par ce territoire cévenol. Ce qui l’avait envoûté, c’était la pluie, une pluie qui certains jours ne cessait pas. Des rideaux d’eau, des flots d’eau se déversaient du ciel opaque. Le précieux liquide tombait avec régularité, constance, détermination, sur le toit, dans la cour : une vraie bénédiction. Il aimait entendre le bruit soyeux des averses, le clapotis des rigoles, le goutte à goutte des chenaux. Un apaisement venu du plus profond de son inconscient le submergeait. Il se noyait dans le sommeil. Cette pluie chassait la peur qui l’avait rongée dans sa bourgade aux confins du désert. Lui, le laïc, incapable d’hypocrisie, avait été épié, harcelé, détruit, nié car il  se dérobait à toute pratique musulmane, refusait de se soumettre aux règles collectives. Rejeté, incompris, menacé, il avait été contraint à l’isolement. Il s’était cloitré. La chaleur et la sécheresse en devenaient encore plus insupportables. Béchar était un four dés le mois d’ avril. Des nuages de sable desséchants se levaient. Toute végétation était condamnée et l’avenir était désespérant.

Et ici, l’humidité, le silence, l’absence de contrA?le social le revivifiaient. Il dormait, dormait, nourri par le chant de la pluie. Peu à peu, rassuré et régénéré, il était sorti de sa tanière. Les arbres, nourris d’eau, explosaient de verdure, les sous-bois exhalaient une odeur forte de mousse, de champignons, de feuilles en décomposition qu’il n’avait jamais respirée. Un jour, lors d’une promenade, il fut alerté par un bruit sourd, puissant. Plus il s’approchait, plus le grondement enflait, prenait de la puissance. Il était fasciné. Il s’enfonéa plus avant au coeur de la montagne sombre, hérissée de rochers noirs en forme d’orgues. Et il la vit ! Une cascade blanche prodigieuse, flot argenté et impétueux sur un écrin de basalte. L’ancien volcan avait engendré une source tumultueuse.

Songeur et bouleversé, il pensa à l’inscription sur la carte postale : Au bout de la pluie, il y a la mer.

Alors, il comprit le sens de cette phr’se énigmatique : il avait envie de suivre ce jaillissement, ce torrent, cette rivière, ce fleuve, il avait envie d’aboutir à la mer. Quitter la ligne de partage des eaux, choisir le bon versant, rejoindre la Méditerranée, le soleil, la sécheresse, sa terre, son désert.

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La mémoire de l’eau

L’eau se souvient du “temps d’avant”. Elle courait libre dans le lac d’Issarlès. Nul réseau hydraulique ne bridait son cours, nul turbine n’exploitait sa force. Elle courait libre dans la vallée du Rhône et de la Saône qu’elle inondait de ses flots boueux selon son bon vouloir.

Elle courait libre dans la vallée du Nil ou le barrage d’Assouan ne limitait pas ses crues.

Nul ne l’avait forcée à entailler des continents à Panama ou à Suez.

Elle n’était pas encore emprisonnée entre les remparts de La Rochelle, ou dans le port de containers de Singapour.

Gelée, elle n’était pas fendue, écartelée par les brise-glace d’Hurtigruten.

Neige, elle n’était pas foulée, écrasée par les dameuses d’Avoriaz.

Fougueuse, ses vagues n’étaient pas sillonnées, fendues par les surfeurs de San Diego.

Enfouie aux tréfonds de la terre, eau fossile des profondeurs des déserts d’Arabie et d’Israel, elle n’était pas au service d’agriculture futuriste.

L’eau avait gardé le souvenir de l’époque ou elle était source de vie et de mort, fantasque, imprévisible, nourricière ou terrifiante. C’est elle qui régnait sur la terre pour le pire et le meilleur. Elle pouvait vivre à son gré. Elle pouvait stagner, empuantir, infester un territoire, Etre sable mouvant, impétueuse et dévastatrice, se faire rare, assécher, détruire, noyer, contaminer, exterminer.

Dans son sein, proliféraient batraciens, bacilles, mammifères, crustacés, anguilles, monstres sous marins, sans nom, ni classification, ni étiquette. Nul ne les préservait ni ne les filmait.

Mais personne n’a la trace de ces temps immémoriaux. Seule l’eau s’en souvient.