Archives de l’auteur : Claire MARTIAL

ALMA

Sous un soleil blafard, cheveux au vent, l’intrépide Alma roule en trottinette tout en scrutant la rivière. Elle ferait bien un tour de barque sur la Saône, peut-être pas jusqu’à Marseille, juste un petit tour, histoire de pagayer à nouveau, humer la rivière au plus près, ressentir son roulis, la vibration de la lumière sur l’eau, côtoyer un couple de cygnes, un héron sur la berge, faire signe à un conducteur de péniche, retrouver du bout des doigts la fraîcheur de l’eau de la rivière bien-aimée.

Alma ralentit l’allure. Sous un parapluie bleu blanc rouge aux larges bords, une silhouette, assise sur un pliant, immobile, regard tourné vers la rivière. Un dos voûté, une tête enfouie dans les épaules, un chien endormi à ses côtés. Une légère brise fait trembler les pampilles accrochées aux baleines du parapluie, ce sont des drapeaux miniatures et multicolores de tous les pays. Alma s’approche et s’assoit en silence dans l’herbe près du chien, regard tourné vers la rivière, un léger vague à l’âme l’étreint. Elle se met à fredonner sa mélodie préférée, les “moulins de mon cœur”. Elle cherche les ronds dans l’eau, le vol d’un cygne, son tambourin et le vent des quatre saisons. Le chien s’éveille et sursaute sous le regard d’Alma. Il se blottit sous le parapluie. Soudain, brusquement, la silhouette se déplie et au bout de son bras, le parapluie se met à tourner, on dirait qu’il va s’envoler le parapluie, il frémit, tourne, tourne, n’en finit pas de tourner, les drapeaux s’agitent, tourbillonnent, les baleines vibrent, la toile se gonfle. Vont-ils décoller ?
— Mince alors, dit la silhouette à voix haute en se rasseyant, je le croyais parachute mon parapluie patriote…acheté au bric à brac de la Fête de l’Air…c’est mon premier essai, demain j’irai plus loin.
— Pour un premier essai, c’est plutôt réussi, dit Alma, tous les drapeaux ont valsé, des moulinets… les moulins de mon cœur, alors merci.

Le chien se rendort, le maître se recroqueville à nouveau, les yeux fermés. Serait-ce la mélodie des moulins de son cœur qu’il fredonne dans sa barbe ?
Alma l’a fait. Sur une carte drapeau aux couleurs de son pays, elle a écrit son prénom,
en lettres majuscules d’imprimerie, aux quatre couleurs de son Bic. Son prénom gravé ainsi flotte au mât du parapluie ombrelle, sur la rive gauche de la rivière Saône. Il ondule au vent, au vent du Sud. Le vœu secret d’Alma serait que ses lettres s’envolent, loin, sans chagrin, jusqu’à son pays natal, là-bas, sur l’autre rive de la Méditerranée !

Claire Martial / Lyon / Février 2024

Et Plumeau est entré dans ma vie

PlumeauEt Plumeau est entré dans ma vie. Il a débarqué par une soirée de Décembre, c’était inattendu, inespéré même, Noël ayant déjà trépassé !
Un beau gars, faut bien le reconnaître, un brun venu du Sud, de Marseille précisément. Le teint métissé, une belle allure, et dans sa chevelure ébène, une touffe de blanc, insolite, qui lui donne un charme fou ! Sculpté en bois de frêne,
il en impose tout de même !

Ce qui est surprenant voire inexplicable dans notre rencontre, c’est que je n’ai
jamais désiré qu’un tel énergumène entre dans ma vie. Sa principale qualité –
vertu même – est de dénicher et chasser la poussière, partout où il passe, toute
la poussière : il la soulève, la disperse, l’engloutit façon ogre. Il est inépuisable.
Pas le temps de se dérober la poussière !

Chez moi, depuis toujours, oui toujours, la poussière est mon principal ennemi,
mais je fais tout ce qu’il faut pour l’ignorer, d’ailleurs je ne la vois pas, nous
cohabitons malgré tout en bonne entente. Alors imaginez un peu, depuis tout ce
temps, les teintes de gris cendré des étagères de livres, de gris souris en haut
de l’armoire, de gris taupe sur les plintes, de gris noir au fond des placards, de
gris perlé sur le bureau, de gris acier sur l’ordinateur, cinquante nuances de
gris…

Je sens que ma vie va changer avec plumeau à mes côtés, un petit coup de
plumeau par ci, un petit coup de plumeau par là, comment vais-je pouvoir
assumer ce tourbillon dans ma vie ? Un plumeau et tous mes grains de poussière
disparaissent ? Plumeau, deviendra-t-il au fil du temps, mon éminence grise, ma
matière grise ? Fera-t-il grise mine à la longue ? Entrerons-nous en zone grise,
de monotonie, de plomb, de muraille… je m’interroge. Puis-je me laisser griser
par lui, deviendra-t-il mon gris-gris préféré ? Mon plumeau est empreint de
mystère, j’apprécie sa douceur, j’admire son efficacité jointe à sa modestie, et
je dois bien admettre qu’il a établi un nouvel ordre ouaté du monde qui
m’entoure, encore un peu flou pour moi à vrai dire.

Dans le noir, toutes les couleurs s’accordent

Soulages

 

Quand se fait le noir, sous ses yeux bandés, odeurs et sons
arrivent en vrac, rien ne s’accorde. Arômes fleuries ou vanillées, fumets poivrés, effluves chocolatées, senteur balsamique, sauces musquées ou piquantes. Surgissent des notes cristallines, de la musique andalouse, une mélodie tzigane, une voix d’opéra. Nuit noire, cocktail de saveurs, de teintes et de notes, palette olfactive, émulsion musicale, gamme aromatique, qui l’emporte ?

 

Soulages

? Dans le noir toutes les couleurs s’accordent  mais qu’en est-il de la sensualité si subtile du noir, volatile, fragile ? La couleur noire nous dévoilera-t-elle sa gamme de nuances ? Serait-elle un écrin où se fondent les coloris, où s’assemblent les pigments, où se
dissimulent les nuances, où toute autre couleur disparaîtrait
à jamais ? 

Le Râdome

Au cœur de la ville, près du fleuve Rhône, s’est posé un dôme, blanc, monumental, sur la grande place il en impose.

Longer le Râdome par un chemin de bois, marcher, entendre la ville et soudain être invitée par le son des vibrations musicales.

Échappées du dôme, entrer sous la coupole, s’asseoir au bord d’un bassin aquatique aux eaux bleues, s’étonner, regarder circuler les notes de musiques déposées à fleur d’eau, elles carillonnent, elles se déplacent et s’entrechoquent au gré de leur croisement, elles flottent…coupes de porcelaine blanche, unies par des sons, dispersées par des ondulations aquatiques.

Je savoure la valse de ces mélodies de bohème aux résonances cristallines. 

La vie idéale

Grand-mère serait là, le cheval aussi
Courent les poules grognent les cochons
Du pigeonnier volent les tourterelles
Des arbres du silence et un puits.

Grand-père au champ près de sa vigne
Des hirondelles sous les poutrelles
Vaches en prairie le lait dans l’écuelle
Au soleil couchant un vol de cygnes. 

Un roc

Massemblumoi reste perché sur un roc brun dominant l’anse Blionassemu, village en bord de mer, abandonné, où seul vit encore un ermite. Les rues pavées ne longent que des maisons de pierre effondrées aux toits béants. La chapelle romane plutôt bien conservée domine, refuge des rapaces des pigeons voyageurs et des mulots. La bergerie de l’ermite, à l’écart du bourg, attire par son abreuvoir d’eau fraîche. La montagne n’est pas loin.

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Pierres

Ils ont ramassé des pierres, des grosses, des rondes, des tranchantes.

Le lac gelé est gris bleu, patiné. Un silence de glace flotte à sa surface, un silence irisé.

La première pierre est jetée, elle ricoche, roule et glisse jusqu’à la rive végétale. Le silence rebondit.

La seconde pierre claque et tremble sur la glace, tranchante elle s’immobilise. Le silence se fend.

La troisième attire les lumières du soleil couchant, elle brille et flotte dans l’air, au ras de l’eau, avant de venir s’écraser et éclater la croûte glacée qui s’étoile en cristaux. Le silence éclabousse.

Entièrement nu Pierre escalade le promontoire. A ces pieds, le lac figé est un mur, un rempart pour lui, chevalier des eaux sombres, prince des ténèbres. Aveuglé par les reflets argentés, il est hypnotisé. Un silence de plomb couvre la vallée. Pierre ouvre les bras, son regard se perd au lointain, longtemps… Il se tourne vers eux, enfin, s’agenouille et dans un jet de larmes murmuré : ça ne sert à rien ! 

un brin de printemps

Bonnes gens oyez
Le printemps pointe son nez
De jaune paré.