2029

Il ne pleuvait plus depuis déjà quelques quatre vingt jours quelque chose s’était détraqué dans le ciel. La grande sécheresse de 1976 dont bien peu se souvenaient en cet été 2029 semblait en passe d’apparaitre aux historiens du climat comme une fantaisie anecdotique et localisée au regard du drame qui s’annonçait. Car la chaleur et l’absence d’eau s’accentuaient à présent de jour en jour sur l’Europe occidentale.
Les records de température de la canicule 2003 étaient battus depuis déjà plusieurs semaines. La température de jour dépassait les quarante cinq degrés de Londres à Marseille en passant par Paris ou Berlin, et atteignait jusqu’à 52 dans le sud de l’Espagne, en Sicile ou en Grèce. La nuit n’apportait que peu d’apaisement et le thermomètre n’indiquait nulle part moins de trente-cinq degré. On étouffait dehors comme dedans. La mortalité cependant n’avait pas encore atteint les terribles chiffres de l’été 2003 à savoir : 70 000 morts en Europe dont 20 000 en France, en particuliers des vieillards affaiblis et suffoquant littéralement, par manque d’attentions et de soins appropriés. Toute les précautions avaient cette fois été prises. Ventilateurs et climatisations équipaient toutes les maisons de retraite, les hôpitaux et la plupart des maisons individuelles en vertu du plan Canicule adopté quelques années plus tôt, et garantissant à toute personne âgée l’accès aux équipements et à la surveillance appropriée. Toute l’Europe avait mis en place cette sorte de plan. Mais le plan France Canicule était le plus protecteur. Il est vrai qu’en 26 ans la répartition des tranches d’âge dans la population française avait considérablement évolué. Les personnes âgées en surnombre avaient en quelques sortes pris les rênes du pouvoir. Constituant une part dominante de l’électorat, elles avaient porté au pouvoir le FRONT DU PROGRES NATIONAL dirigé par Marion Maréchale, (qui avait laissé depuis longtemps aux oubliettes le nom de Le Pen, et l’héritage familial encombrant qu’il représentait). Elue présidente en 2023, et portée par la masse électorale des plus de soixante ans elle impulsait une politique résolument anti jeune et anti immigré qui confortait les avantages de tous les autres.  Les jeunes et les immigrés en effet étaient tenus pour suspects et dangereux. Les premiers très méthodiquement encadrés dans des écoles et des centres de formations, proches de l’encasernement n’en sortaient que pour les emplois auxquels on les affectait d’office en fonction des besoins ou des opportunités économiques, militaires ou sécuritaires. Les seconds regroupés en cités de transit, (CT) se voyaient octroyés des titres transitoires de séjour (TTS) et pouvaient travailler dans des usines, essentiellement de la défense nationale, sous condition d’adaptabilité et de soumission aux modes de vies et aux réglementations en vigueur. Les autres étaient expulsés. Reconduits aux frontières. Abandonnés à leur sort. Tout retour illicite, était passible de condamnation et d’enfermement en Centre de rétention provisoire, (CRP), en fait des prisons spéciales, dont on ignorait à l’extérieure le fonctionnement, et dont on ne ressortait pas.

Il faut dire que l’état de guerre entre l’Europe, et les USA d’un coté et l’Etat Islamique d’autres part, rendait les populations peu regardantes sur le respect des droits de l’homme et en particulier le sort des émigrés considérés à priori comme dangereux.

La France, forteresse assiégée avait retrouvé ses frontières et ses douanes, ses modes de vie différenciés selon les régions et traditions. Les attentats étaient rares mais terribles et des prises d’otages mal terminées avaient causé durant les dernières années plusieurs centaines de morts, mais les vrais combats avaient lieux sur les terres africaines ou depuis plus d’une décennie les victimes se comptaient par milliers presque chaque jours, une terrible saignée qui laissait une grande partie du continent ravagé, et les épidémies et famines  s’y développant, tout  ce qui s’étendait au sud de la méditerranée ressemblait à un enfer.

 

La canicule qui frappait cette année là l’Europe, et la France en particulier était présentée par les idéologues islamistes comme un châtiment divin, annonciateur de la chute finale des contempteurs de la vraie foi.

Le choc des cultures avait atteint ces derniers temps un point de non retour. Les Musulmans de France regroupés en leurs quartiers priaient dans leur mosquée, et le christianisme presque moribond dans la France des années 10 avait dans la décennie suivante connu un étonnant retour d’intérêt.

Les processions et manifestations de prière publique pour obtenir le retour de la pluie devenait en cette fin d’été 2029 un véritable phénomène de société, accentuant la rechristianisassions du pays.

Il est vrai que l’assassinat du pape François par un fanatique islamiste avait, quelques années auparavant, singulièrement frappé les esprits et mobilisé des foules imposantes. Toutes les églises et cathédrales étaient pleines chaque dimanche, et de nombreuses petites églises de campagne désaffectées avaient été ré ouvertes au culte. Par ailleurs, l’encyclique de François 2 permettant aux laïcs, aussi bien homme que femme de célébrer la messe et de donner l’eucharistie avait redonné un grand essor aux pratiques religieuses, encouragées d’ailleurs par l’état nationaliste et conservateur, qui en France comme ailleurs en Europe, assurait un pouvoir réactionnaire, et autoritaire, proche des dirigeants catholiques et du nouveau pape. Lui-même était issu du Moyen Orient, patriarche irakien yazidi, converti au catholicisme. Son élection considérée comme une provocation par les musulmans, n’avait pas peu contribué à accroitre les tensions devenues paroxystiques. Mais plus que la guerre et les conflits religieux internes, c’est le climat qui devenait en cet été 2029 le sujet majeur de préoccupation. Les américains, les européens, les chinois et les russes alliés dans la guerre contre l’islamisme avaient d’un commun accord convenu d’un moratoire dans les mesures de transition énergétiques destinées à réduire le réchauffement. La relance économique, fondée sur un réarmement conventionnel généralisé avait quasi aveuglé les populations sur les périls climatiques. Le retour du plein emploi et les hausses de salaires, allias à un contrôle drastique des médias avait redonné à l’ensemble des gouvernants une indiscutable popularité et les opposants écologistes discrédités et ridiculisés étaient présentés comme d’irresponsables professeurs tournesols accrochés à leurs lubies, et radotant des inepties rétrogrades. D’ailleurs pendant tout le début des années 20 les hivers avaient été plutôt rudes et les étés pluvieux ou d’une chaleur modérée. Mais depuis deux ans les choses avaient changé.

2027 avait été très chaud, presque sans neige durant l’hiver et avec bien peu d’eau en été. 2028 avait été l’année de la grande sécheresse, quasi comparable à celle de 1976, mais marquant beaucoup moins les esprits tant la technologie et l’organisation sociale avait permis de vider en partie les rivières au profit de l’agriculture, et la chaleur élevée mais tolérable avait été fort appréciée de tous les vacanciers.

C’était une toute autre affaire qui se développait dans cet été 2029. La chaleur du mois d’aout était telle que la végétation séchait sur pied, et cette fois ci l’inquiétude alimentaire était forte. Toutes les vignes semblaient déjà perdues. Le bétail donnait des signes inquiétant de risque sanitaire. Le niveau des rivières et des réserves d’eaux par ailleurs largement polluées avait tellement baissé par suite des prélèvements inconsidérés de l’année précédente que les experts prévoyaient une situation de crise et de grave pénurie, si aucune pluie ne venait d’ici une quinzaine de jours rafraichir les sols, les bêtes et les gens sur les territoires de plus en plus exsangues de l’Europe du nord. Les météorologues ne voyaient rien venir les anticyclones demeuraient stabilisés, et les pluies tombaient ailleurs dans le grand nord canadien, le pacifique, ou l’est de la Sibérie mais plus une goutte en Europe et assez peu en Amérique du Nord qui commençait elle aussi à entrer dans la crise.

Seule l’Amérique du sud semblait bénéficier d’une relative stabilité hygrométrique. Cette exception au désastre mondiale décida les dirigeants occidentaux à envisager un pont aquatique entre le Brésil et les Etats Unis d’une part, et l’Europe d’autre part. L’eau de l’Amazonie serait transportée par les pétroliers géants réaffectés pour ce transport se substituant au transport habituel des produits pétroliers. Cette mesure en apparence de bon sens allait avoir des conséquences incalculables. Quand elle fut prise par une poignée de bureaucrates occidentaux dans un grand hôtel de Lausanne, on pensait qu’il ne s’agissait alors que d’une mesure d’urgence et de circonstance, ne devant avoir qu’une durée limitée au plus à quelques semaines. Mais elle dura plusieurs mois, provoquant d’abord une pénurie pétrolière aux conséquences terribles. La circulation des véhicules à moteur fut d’abord réglementée, puis interdite totalement en Europe, à l’exception de celle des camions citernes qui depuis les grands ports alimentaient les villes et villages. Les immenses navires apportant l’eau par millions de tonnes et faisant la navette entre les deux rives de l’atlantique ne pouvaient cependant permettre à l’Europe de maintenir son agriculture son élevage, et d’abreuver ses populations. Des mesures de rationnement drastiques furent prises. On ne chercha pas à savoir ce qui se passait derrière les grilles des centres de rétention, mais il fut décidé de vider tous les centres de transit et de ne plus accepter l’arrivée d’un seul émigré.

Les quartiers musulmans se virent privés par ailleurs de tout ravitaillement organisé par l’Etat, servant en priorité, mais dans les faits exclusivement, les populations dites “de souche”.

Ces quartiers qui ressentaient déjà de longue date un sentiment d’exclusion, se soulevèrent sans doute également sous l’effet d’agitateurs islamistes saisissant cette opportunité.

Les transports d’eau furent attaqués et détournés, une part de l’armée déployée en Afrique fut rapatriée en France pour assumer leur sécurité et mater les rebellions. La guerre civile s’installa s’ajoutant aux guerres d’outremer.

Et la chaleur ne diminuait pas, et la pluie ne revenait pas.
Le mois de septembre fut inimaginable ment chaud. Autour de 45 degré dans le nord au dessus de 50 dans le sud de l’Europe.

Les décès commencèrent à se multiplier du fait des rationnements, du stress de la situation, des affrontements entre communautés. La vie devenant intolérable et de semaine en semaine s’aggravant, en dépit des promesses fatalistes des dirigeants affirmant que l’automne finirait par arriver, que les températures allaient baisser et la pluie revenir, les populations commencèrent à envisager des mesures d’exode massif. Les habitants des campagnes commencèrent à se regrouper autour des fleuves et des points d’eau. Les barrages furent pris d’assaut et cernés de campements. Une ruée vers la Suisse et ses lacs fut arrêtée par des barrages de route et de puissants moyens militaires mis en place par ce pays. Toutes les ressources d’eau furent d’ailleurs et dans toute l’Europe militairement sécurisée surtout à partir du moment ou les réseaux d’eau potable durent être coupés, et remplacés par des points de distribution sous contrôle de milices armées.

Une impression de fin du monde se répandit dans une Europe dévastée.

Toutes les grandes villes portuaires doublant, triplant leur population devenaient des campements géants d’attente pour d’improbables embarquements vers des pays? il pleuvait encore.

Octobre arriva sous un soleil de plomb persistant et une température moyenne de 48 degré.

François hollande se réveilla en sueur, tremblant de peur et les idées confuses; il se dit dans son demi sommeil : je dois absolument réussir cette Conférence de Paris et faire signer le protocole sur le climat. Mais au fait en quelle année sommes-nous?