Le jardinier a rangé ses tomates, le ciel a rangé ses couleurs, le bleu et le vert en rougissent. Exsangues, les feuilles revêtent les arbres de robes pourpres. Au fond du jardin, A l’abri d’un grand chêne, une cabane faite d’écoins de sapin disjoints attire l’attention de Jeanne-Marie venue passer quelques jours dans une propriété reculée au bord de l’Ain.
La porte de la cabane cède à sa pression, les gonds sont rouillés, les planches se sont affaissées. S’habituer à l’obscurité. Son pied butte sur un râteau rouillé emmêlé à une pelle à la lame usée. Une brouette renversée, une faux, des outils divers inconnus à ses yeux de citadine reposent, comme fatigués des travaux du passé. Soudain, un grattement suivi d’un frottement sur le sol ; un rongeur sans doute surpris par son intrusion. Le regard de Jeanne-Marie se porte alors sur une malle remisée au fond de la cabane d’où l’animal s’est enfui. Un coffre, en bois exotique, du teck ou du santal, de ceux que les colons ont rapportés des colonies. La serrure est intacte, les charnières fonctionnent encore. A l’intérieur, des journaux datant de 1947, collés les uns aux autres par l’humidité, des plans relevés à la main, un compas, une règle, une chaîne d’arpenteur rouillée enveloppée dans une bourse de toile grossière. Au fond de la malle, des cahiers d’écolier. Sur la page de couverture, une écriture fine et ferme à la fois, penchée, à l’encre bleue, une date : 15 mai 1946 et un nom propre à consonance africaine.
Jeanne-Marie amène à la lumière les trois cahiers reliés ensemble par un brin de raphia, s’assoie sur le banc creusé dans un tronc d’arbre couché adossé à la cabane. Un pan d’histoire s’ouvre à elle.