Pour garder une certaine unité de composition j’ai adopté celle du Renga avec cinq vers dont les deux derniers sont détachés sans respecter la métrique du haïku (5,7,5) pour les trois premiers. J’ai placé en miroir dudit Renga deux vers de commentaires avec parfois une pointe d’humour grinçant.
Il y eut un souffle
Une déchirure de sang
Un cri d’horreur pour elle
Au passage du Mastrou de six heures
J’étais le ravi de la crèche
Rire aux anges
Avec ou sans elle
Elle hurle beaucoup
Je ne sais jamais pourquoi
Je me réfugie dans un arbre
Du plus grand épicéa du parc
La rivière aux truites gémit
Devenir sourd
Comme une mise en bière
Les remous d’un ruisseau
Les cataractes d’une cascade
Le flux et le reflux des vagues
La rivière aux truites
Glougloute avec les goujons
Les poètes mentent
Quand ils croient entendre tout cela
Les noyés les naufragés les alpinistes
Les planchistes les automobilistes les suicidés
N’hurlent que dans le coeur de ceux qui restent
Jamais dans les fleuves les mers et les crevasses
Ni sur le bitume et le béton
Les poètes affabulent
Sur le sort des gens
L’enfant de la colonie
Dont elle est responsable
Meurt sur ma bouche de sauveteur
La cascade d’Ardèche
Coule encore à gros débit
Le deuil ne se partage pas
Tout le monde le sait
On l’attache à son lit
Pour qu’elle ne se sauve pas
Elle prend des antidépresseurs
Tu ne sais pas à quoi elle pense
Sous thymorégulateurs
Aucun poète n’évoque sa douleur
Tout le monde s’en fiche d’ailleurs
On la met sous chimio
Le cerveau en compote
Le pancréas gavé de médocs
Tel un oiseau des îles en cage
Elle est muette comme une carpe
Seuls les poètes font parler les carpes
Tout le monde sait cela
Elle dort sous la terre
Sous un verset biblique
C’est du moins ce que je crois
C’est plus joli que de penser
Qu’elle est mangée par les vers
Laisse-moi désormais
Seigneur aller en Paix
J’abandonne ma besace à métaphores
Mon stylet à paréidolie
Mon crayon à lieux communs
Je pars sur les chemins
Cultiver les ampoules aux pieds
Marcher, aimer, chanter
Tel un messager d’Amour
Je croise l’âne si doux qui marche le long des houx
Le lièvre plus lent que la tortue
L’albatros vaste oiseau des mers
J’enjambe le pont Mirabeau où coule la Seine
Et le soldat avec deux trous rouges au côté droit
Poétiser, écrire des vers
Entre deux verres d’oubli
Je dévore des livres de mathématiques
Je programme des ordinateurs déments
Dans les Babel de la Défense
J’enrichis le Capital
J’appauvris la Nature
Être une machine à octets
En trois huit jour et nuit
Au pays des Droits de l’homme précarisé
Deux mille enfants dorment dans la rue
Le 115 du Samu social disjoncte
Dans les prisons les détenus marinent
Comme des sardines en boite
Sur le port de Saint-Tropez
On lave le pont des yachts au champagne
Je râle contre la canicule
La fonte des glaciers
Dans mon SUV sur l’autoroute A7
Je suis un individu ordinaire
Avec ma glacière à pique-nique bleue
Me croire libre et puissant
Dans une caisse noire en métal
J’explore le 93
Ses cités de misère
Sous perfusion de drogue et de prostitution
Les révoltés ont tagué les murs
Les trottoirs dégueulent de pauvreté
Je me drape dans le drapeau de l’humanisme
Dans mon costume rayé de cadre très moyen
Le 93, c’est facile à trouver
Juste après le périph
Et la Cité de la musique
Pas besoin de bouffer du kérosène
Pour ce type de voyage
Je ne suis pas Levi Strauss
Dans ses Tristes tropiques
Les odeurs à la Chirac
Les sans-dents de Hollande
Ceux qui n’osent pas traverser la rue de Jupiter
Le Karcher de Sarko
Pour nettoyer les écoles incendiées
C’est comme au marché provençal
De bons fruits ou des pommes blettes
Tel un pantin de Guignol
Je dirige une antenne de Surendettement
En face d’un hôtel Formule 1 à migrants
Les pauvres s’endettent dans les hypermarchés
Auprès de Cetelem et de Cofinoga
Les vautours du revolving sucent leur cervelle
Le fromage des usuriers est gouleyant
Tel Don Quichotte
Je chevauche la pampa du 93
Avec mon ami Sancho Panza
J’endosse la cause des femmes seules
Trois bambins en couches et la morve au nez
Les géniteurs sont aux abonnés absents
Pour survivre elles ont les minimas sociaux
Je m’épuise à leur tendre la main
Contre les Goliath de la finance
Et les fachos de l’administration
Ils sont plus forts que moi
Les technocrates de Bercy
Devenir un zombi dans le PC3
De Pantin à la Porte de Saint-Ouen
Je sombre comme le Titanic
Je burn-out
On me met dans un placard
Je danse sans balais
Ni ballerine coquine
Je soigne mes maux avec des mots
Et des verres de mirliton
Je rencontre des gens de Foi
Des humanistes porteurs de Lumière
Des frères et des sœurs en Espérance
Liberté Égalité Fraternité
Force Beauté deviennent mon pain quotidien
Les antiques traditions de Sagesse
Perdurent en dépit des puissances d’argent
Le cancer de l’exploitation des travailleurs
Des immigrés parqués dans des taudis
Métastase tout le corps social
La révolte gronde dans les veines
Des ouvriers des techniciens et des apprentis
Comme en 1947 c’est la Libération
On s’organise en coopératives autogérées
Des camarades luttent et chantent
Sur les pavés de l’Espérance
En brandissant des oriflammes rouge sang
Le capitalisme mortifère
Meurt de sa propre gangrène
La poésie est révolte et utopie
S’il convient de dénoncer il faut espérer
Que vivent la Vie
La Joie dans mon cœur d’homme
Libéré des chaînes de TV
Je ne suis plus un cerveau disponible
Entre deux flashs de publicité
Je suis un homme libre sous la voie lactée
Mon germe de Vie et d’Amour ne demande qu’à pousser