Nouvelles de Marino

AnamnA?se

La forA?t de Tenira A�tait le Parc de la TA?te da��Or des coopA�rants de Sidi Bel AbbA?s. Ses pins parasols, son air pur, son horizon dA�gagA�, ses clairiA?res et ses chemins ombragA�s A�taient propices aux A�bats des jeunes familles da��expatriA�s pleines de vitalitA�. Jogging des parents, premiers pas et cache-cache des jeunes enfants, anniversaires sur la couverture A�tendue au sol.Le panier en alpha, achetA� au A�A�marchA� nA?greA�A�, son aspect rude, son odeur vA�gA�tale, sa robustesse. Plaisir de tenir ses anses grossiA?rement tressA�es. Plaisir de le remplir pour les pique-niqueA�: au fond, le gigot froid enveloppA� dans son torchon bien propre, au-dessus la boA�te de A�A�vache qui ritA�A�, le pain en galette, les mandarines, les dattes et sur le cA?tA�, la gazouseA�!

En hiver, en AlgA�rie, le soleil est toujours chaud et le givre fond vite. En marchant sur les collines, on enlA?ve les pulls. Le corps, la peau sont stimulA�s, vivifiA�s.

Les traces des perdreaux, des lapins, des liA?vres, des sangliers. Odeur des herbes foulA�es. Le petit bouquet de cette plante dont je na��ai jamais su le nom, A� la touffe blanche, duveteuse, semblable A� une flamme, et si douce au toucher, comme du coton. Cueillies, rassemblA�es, ces houppettes durent tout la��hiver. Emerveillement face A� cette nature hivernale, figA�e, sA?che, en attente de la pluie. Etonnement devant ces A�tendues rocailleuses, ces reliefs oA? la terre labourA�e est A� nu. La couleur des sols passe de la��ocre, au blanc, au brun en suivant les ondulations du terrain comme sur un tableau abstraitA�: ce spectacle me fascine. Les couches gA�ologiques apparaissent A� la��A�tat brut, A� fleur de terre.

Etendues immenses et dA�sertiques, parsemA�es cependant de quelques douars misA�rables, cachA�s derriA?re leurs haies de figuiers de barbarie. On aperA�oit desA�A� femmes et des enfants. La��air vibre de leurs interpellations. Du linge et des tapis sA?chent sur les pauvres clA?tures. Comment vivent-ilsA�?

Sur la route, au loin, un A�trange A�quipage arrive A� pas mesurA�s. Sur un A?ne fatiguA�, est assis un fellah, A?gA�, semble-t-il. Sa monture est trop petite pour lui, ses pieds touchent presque le sol. On en rit. Il porte une veste grise comme nos paysans naguA?re, mais il est coiffA� da��un chA?che orange. Son teint basanA�, ses joues couvertes de poils ras et gris, son regard bienveillant et laiteux, je les revois encore.

Da��oA? venait-ilA�? OA? allait-t-ilA�? Aurait-il voulu nous parlerA�?

Damas, en Syrie

Ce jour-lA�, ja��A�tais une autre. Ja��avais endossA� un vaste manteau noir. Ma valise A�tait prA?te. Premier voyage toute seule, direction Damas. Ce na��A�tait pas vraiment la bonne pA�riode, en ce printemps 2015, oA? sa��A�panouissait la��Etat Islamique ni la bonne destination, cette Syrie en guerre, ni les bonnes circonstances : moi une femme seule et libre dans un monde musulman au bord de la��explosion. Mon seul avantage : mon A?ge mA�r qui me mettait un peu A� la��abri.
Partir ! Retrouver la��odeur et la��ambiance des villes orientales, me mA?ler aux foules odorantes, A� la langue chantante et rocailleuse A� la fois.
DA?s la sortie de la��avion, je couvris mes cheveux da��un chA?le sombre et la��arrangeai A� la mode locale. Mes voisins de cabine, un couple affable, ma��accompagna jusqua��A� mon hA?tel, le plus sA�r de Damas.
Etonnamment, je sentis que je frissonnais de bonheur. La��atmosphA?re A�tait tendue bien sA�r, mais on sentait sourdre un dA�sir de vivre et de rire malgrA� tout.
AccompagnA�e da��un guide local, je pus sortir de ce refuge. Il ma��expliqua le quotidien de cette population dA�chirA�e mais forte, leur volontA� da��espA�rer et de ne pas laisser paraA�tre leur angoisse. Je les admirais et me sentais honteuse maintenant da��A?tre lA�, privilA�giA�e et voyeuse. Mais ja��A�tais affranchie aussi de la mesquinerie, du ronchonnement et de la��insatisfaction chronique des panurges franA�ais qui finissaient par me contaminer. Ces Syriens A�taient en premiA?re ligne de la��Histoire. Tout un rA�seau de puissances contradictoires resserrait ses maillons sur cette rA�gion. Comprendre cette complexitA� stimulait. A la fois victimes et acteurs, responsables et innocents, ils se dA�battaient et surnageaient.
Mes convictions battaient de la��aile : oA? A�tait la vA�ritA� ? Qui A�tait le mA�chant ? Quelle attitude adopter ?

Ce jour-lA�, ja��A�tais une autre.