Archives de catégorie : MARIE NOELLE

Regroupement de tous les textes de Marino

Haïku : une feuille

Ta nervure centrale
Capte la force de l’été
Et se ramifie

Main ouverte tendue
Vermillon, carmin, fuchsia
Craquelée, flétrie

Mon enfant inoue

Mon enfant inoue

C’est la fin de la journée et le soleil va se coucher un peu plus bas encore aujourd’hui. Nous plongeons dans l’hiver insensiblement et tu vois, mon enfant, ma sœur, ma préférée, j’aime avec toi partager ce moment de douceur. Dépouille-toi de tes soucis, lave-toi de tes peurs, laissons l’instant présent nous absorber tout entières. La chaleur de la cheminée nous engourdit, nous assouplit. Laissons de coté les médiocres contrariétés, les jalousies pusillanimes. Souviens-toi de ces doux instants, si drôles par moments. Rappelle-toi quand la vie était un tourbillon ou nous perdions pied et raison. Mais aujourd’hui, tout est calme et apaisé. Regardons le soleil s’abandonner.

L’eau : les peintres et les arts plastiques

 

Août 1945. Parcieux
Je pense à Charlotte, ma mère, à ses aquarelles et aussi aux prises de vue de mon père. C’était la Libération. Les bords de Saône exultaient ! On se baignait, on pique niquait. Et sur le soir, Charlotte a dit à Paul : “Emmène-moi sur l’île, je voudrais peindre”.
L’angoisse de l’Occupation s’estompait. La vie redevenait fluide. On découvrait l’horreur de l’idéologie nazie, sa rigidité, sa cruauté.
Peindre, rêver, imaginer un monde aux formes rondes loin de la de la brutalité des défilés militaires
. A qui appartient-elle ?
Paul et Charlotte arrivent en barque à cette petite plage abritée. Une autre embarcation semble les attendre
Charlotte sort sa mallette de peinture. Paul cherche des trèfles à quatre feuilles. Elle observe, s’imprègne de l’instant. Elle regarde, écoute, respire.
Barques au bord de la Saône. Chaleur et moiteur. Odeur de vase. Les aulnes frémissent et la rivière hésite : couler en amont ou en aval ? Le semblant de plage est sans cesse transformée par la montée ou la descente de l’eau. Les deux barques côte à côte, ventrues, alanguies, comme deux corps assouvis. Déchiffrer la surface de l’eau. Le reflet du nuage blanc et ventru s’oppose au vert puissant des feuillages denses. Sous les barques, l’eau boueuse de la Saône, s’est épurée et l’ocre du sable côtoie le bleu foncé de l’ombre des arbres, le blanc nacré du nuage. L’argent des feuilles de saule frémit, scintille, entoure les deux barques, comme intruses dans ce tableau naturel. Leurs couleurs bleutées, verdâtres, boueuses sont semblables à celles de l’eau, du ciel, des arbres. On dirait qu’elles veulent se faire accepter, se fondre dans les éléments naturels. Et maman trempe son pinceau dans l’eau, prépare son premier geste.

Septembre 1944. Pont de Trévoux.
Voilà ce qu’aurait pu écrire mon père Paul Epelly, s’il avait tenu un journal intime.
– Ils vont arriver ! Les résistants reviennent avec des prisonniers allemands ! dit la foule qui m’entoure.
Je sors ma caméra.
– Mettez-vous là, Monsieur Epelly ! Vous serez bien placé pour filmer.
Nous sommes debout sur le quai et je réfléchis à ma prise de vue. Le pont de Trévoux écroulé sous les bombardements me fera un tragique arrière plan. Les deux barques vont arriver de la rive droite et l’accostage aura lieu devant moi. La Saône roule ses eaux boueuses. Au pied des piles du pont, le courant est fort et les tourbillons nous inquiètent. Vont-ils pouvoir les franchir ?
C’est une après midi un peu sombre et l’heure est solennelle. Autour de moi la population a la gorge serrée. C’est la fin de la guerre et ces prisonniers allemands, c’est notre revanche.
– Ca y est ! Ils arrivent ! Filmez Monsieur Epelly !
La scène est fantastique : les deux barques effilées traversent la Saône l’une derrière l’autre. A leur bord, des hommes en armes, debout, encadrent les vaincus.
Je filme, concentré. Je suis assez bien placé pour faire un plan fixe. Les embarcations se dirigent sur moi. Je sais que le moment est historique. Je pense à mes parents, à mes enfants. Je suis le seul de toute la région à posséder une caméra. Pas le moment de trembler ! Un jour, mes descendants honoreront cet instant.
– Ils débarquent !
Un silence de plomb accueille leur arrivée. Notre haine se tait et je sais que, ces prisonniers, eux aussi sont des victimes.
J’ai les images dans ma boîte.

La cabane et la malle

Il a quitté sa bonne ville sous un vent violent, ce vent qui vient de la montagne, ce vent qui une fois l’a rendu fou. Il s’est retiré à Chambod, son havre de silence. Il a fini d’accorder sa guitare et il admire longuement la rivière d’Ain, étale devant lui. Les reflets des arbres jaunissants frissonnent au gré des risées. Il croit voir une forme se glisser dans l’eau.
Un air alors lui revient : “Dans l’eau de la claire fontainea”. Non, ce n’est qu’une illusion, une chimère, ou peut être l’ombre d’un cygne glissant sur l’onde.
Ses yeux se posent sur cette cabane étonnante, ce chalet tout rond et pointu qui évoque le Canada et ses trappeurs. Il pousse la porte qui grince : il aime cette odeur de bois. Il s’attarde sur les bancs bien polis, caresse leur surface tendre. “Tiens, se dit-il, quelle est cette encoche ? Je ne l’avais jamais remarquée. Il soulève la latte et découvre un vide sous le siège. Intrigué, il allume une bougie : une malle de petite taille repose, bien cachée. Il se sent transporté ailleurs, tel l’oncle Archibald. Il hésite à ouvrir cette boite rouillée. Faut-il laisser émerger cette mémoire ancienne, ces archives oubliées ? La curiosité est plus forte que ses craintes.
A l’intérieur, tout est bien rangé. Sur la première page du journal intime, il lit :
Voilà les souvenirs modestes d’un pauvre croquant.

Suivent quelques maximes soigneusement calligraphiées :
Le jardinier a rangé ses tomates, le ciel a rangé ses couleurs. Le bleu et le vert en rougissent.
Celui qui a de la sauge dans son jardin n’a pas besoin de médecin.

Et plus loin, écrit à la hâte :
Auprès de mon arbre, je vivais heureux
Pauvre Martin, pauvre misère, creuse la terre, creuse le temps.
Mourir pour des idées, l’idée est excellente, c’est bien beau mais lesquelles ?

Georges est pris de vertige : ces phrases, ce sont les siennes. Comment est-ce possible ? En tremblant, il referme le journal, le range dans la malle et rabat soigneusement la latte du banc. Ses mains sont moites et tremblent. Ne rien dire à personne, surtout !
Il sort chancelant de la cabane et se dirige vers la grande salle ou l’attendent un bon feu et ses copains qui ripaillent, les copains d’abord.

L’eau dans la nature

Pitrerie de l’eau

– Il faut arroser les fleurs ce soir! Elles ont soif, avec la chaleur d’aujourd’hui.
– T’inquiète Mamino, je m’en charge, répond Lilian, mon petit fils.

Le tuyau d’arrosage repose bien sage sur son support vert. Première opération il faut délover patiemment chaque enroulement. Lilian, élève de Première S, réfléchit : “Sachant qu’un enroulement mesure 1 mètre cinquante, combien dois-je en défaire pour atteindre le massif de fleurs ?”
Il sort son ipod et se met sur l’application adéquate. Malheureusement, il a déjà ouvert le robinet et l’eau de répand dans la pelouse.

– Lilian! Lilian! Ne gaspille pas l’eau !
– T’inquiète Mamino! Je n’en ai dépensé que 3 x multipliés par 15 litres racine carrée de 25.
– Que dis-tu? Ferme le robinet!

Une fausse manœuvre et le tuyau animé d’une énergie propre se déroule subitement at arrose petit fils et grand-mère éberlués ! A ce moment-là, les géraniums excédés d’attendre, escaladent l’échelle de la piscine et se mettent à flotter à la surface de l’eau. Mais, le chlore fait son effet et leur beau rouge éclatant pâlit subitement. Aussi subitement que Mamino qui plonge dans l’eau pour tenter de sauver ses précieuses fleurs.

– T’inquiète Mamino, dit Lilian, accouru aussitôt. Je vais les arroser d’eau pure et elles reprendront leur belle couleur car Chlore moins H2O multiplié par Pi au carré, c’est radical!

Mais le tuyau n’a pas dit son dernier. Il se détortille complètement et s’élance dans l’air tel un anaconda. Puis, il s’enroule violemment autour de Lilian, qui risque de s’étouffer.

– T’inquiète Mamino, je ne risque rien car Puissance de Toricelli facteur de Watt et Watson font Supermarsupilami.

Youpi!

Une larme

Une larme s’était formée au coin de son œil. Elle avait trop ri, ri aux larmes. Elle sentait se former cette goutte et elle fut surprise de la sentir glisser sous son œil, entre ses cernes et la base de son nez. Elle ne voulait pas l’essuyer d’un revers de main: elle voulait savoir si cette larme était assez forte pour descendre encore. Continuer la lecture

Nouvelles de Marino

Anamnèse

La “forêt de Tenir” était le Parc de la Tête d’Or des coopérants de Sidi Bel Abbès. Ses pins parasols, son air pur, son horizon dégagé, ses clairières et ses chemins ombragés étaient propices aux ébats des jeunes familles d’expatriés pleines de vitalité. Jogging des parents, premiers pas et cache-cache des jeunes enfants, anniversaires sur la couverture étendue au sol.
Le panier en alpha, acheté au “marché négre”, son aspect rude, son odeur végétale, sa robustesse. Plaisir de tenir ses anses grossièrement tressées. Plaisir de le remplir pour les pique-nique : au fond, le gigot froid enveloppé dans son torchon bien propre, au-dessus la boîte de “vache qui rit”, le pain en galette, les mandarines, les dattes et sur le côté, la gazouse !

En hiver, en Algérie, le soleil est toujours chaud et le givre fond vite. En marchant sur les collines, on enlève les pulls. Le corps, la peau sont stimulés, vivifiés.

Les traces des perdreaux, des lapins, des lièvres, des sangliers. Odeur des herbes foulées. Le petit bouquet de cette plante dont je n’ai jamais su le nom, à la touffe blanche, duveteuse, semblable à une flamme, et si douce au toucher, comme du coton. Cueillies, rassemblées, ces houppettes durent tout l’hiver. Emerveillement face à cette nature hivernale, figée, sèche, en attente de la pluie. Etonnement devant ces étendues rocailleuses, ces reliefs ou la terre labourée est à nu. La couleur des sols passe de l’ocre, au blanc, au brun en suivant les ondulations du terrain comme sur un tableau abstrait : ce spectacle me fascine. Les couches géologiques apparaissent à l’état brut, à fleur de terre.

Etendues immenses et désertiques, parsemées cependant de quelques douars misérables, cachés derrière leurs haies de figuiers de barbarie. On aperçoit des femmes et des enfants. L’air vibre de leurs interpellations. Du linge et des tapis sèchent sur les pauvres clôtures. Comment vivent-ils ?

Sur la route, au loin, un étrange équipage arrive à pas mesurés. Sur un âne fatigué, est assis un fellah, âgé, semble-t-il. Sa monture est trop petite pour lui, ses pieds touchent presque le sol. On en rit. Il porte une veste grise comme nos paysans naguère, mais il est coiffé d’un chèche orange. Son teint basané, ses joues couvertes de poils ras et gris, son regard bienveillant et laiteux, je les revois encore.

D’ou venait-il ? OA? allait-t-il ? Aurait-il voulu nous parler ?

Damas, en Syrie

Ce jour-là, j’étais une autre. J’avais endossé un vaste manteau noir. Ma valise était prête. Premier voyage toute seule, direction Damas. Ce n’était pas vraiment la bonne période, en ce printemps 2015, ou s’épanouissait l’Etat Islamique ni la bonne destination, cette Syrie en guerre, ni les bonnes circonstances : moi une femme seule et libre dans un monde musulman au bord de l’explosion. Mon seul avantage : mon âge mûr qui me mettait un peu à l’abri.

Partir ! Retrouver l’odeur et l’ambiance des villes orientales, me mêler aux foules odorantes, à la langue chantante et rocailleuse à la fois.
Dès la sortie de l’avion, je couvris mes cheveux d’un châle sombre et l’arrangeai à la mode locale. Mes voisins de cabine, un couple affable, m’accompagna jusqu’à mon hôtel, le plus sûr de Damas.
Etonnamment, je sentis que je frissonnais de bonheur. L’atmosphère était tendue bien sûr, mais on sentait sourdre un désir de vivre et de rire malgré tout.
Accompagnée d’un guide local, je pus sortir de ce refuge. Il m’expliqua le quotidien de cette population déchirée mais forte, leur volonté d’espérer et de ne pas laisser paraître leur angoisse. Je les admirais et me sentais honteuse maintenant d’être là, privilégiée et voyeuse. Mais j’étais affranchie aussi de la mesquinerie, du ronchonnement et de l’insatisfaction chronique des panurges français qui finissaient par me contaminer. Ces Syriens étaient en première ligne de l’Histoire. Tout un réseau de puissances contradictoires resserrait ses maillons sur cette région. Comprendre cette complexité stimulait. A la fois victimes et acteurs, responsables et innocents, ils se débattaient et surnageaient.
Mes convictions battaient de l’aile : ou était la vérité ? Qui était le méchant ? Quelle attitude adopter ?

Ce jour-là, j’étais une autre.