Le libraire

La��exposition des antiquaires du Grand Palais dA�A�oit un peu car ils sont moins beaux qua��autrefois. AprA?s deux heures de queue, sans coupe-file, sous la bruine fine de Paris, je pA�nA?tre enfin dans le grand pavillon de verre et da��acier laissA� opportunA�ment entre Seine et Champs A�lysA�es aprA?s la��exposition universelle. Quand je pense que cet A�difice massif tient sur des pilotis en bois plus solides que du bA�ton.

Un factotum dA�chire mon ticket da��entrA�e tandis qua��un autre me tend le plan de la��exposition. Je parcours non sans ennui la��index alphabA�tiqueA�: Gustave Losserand, ChambA�ry, stand A7-travA�e B1A�; Gaston Losserand, Bourg da��Oisans, stand C13-travA�e K8A�; GA�rard Losserand, Villars da��ArA?ne, stand X9-travA�e J3.

Je cherche les A�uvres complA?tes da��Alexandre Vialatte et prA�cisA�ment ses premiA?res traductions du ChA?teau et de la MA�tamorphose de Kafka. Dans le milieu des bibliophiles avertis, tout le monde sait que les frA?res Losserand dA�tiennent la��intA�gralitA� de la��A�uvre in folio numA�rotA�e du chroniqueur auvergnat germanophile.

Je ne comprends rien au plan fourni A� la��entrA�e du salon. Dans quel sens dois-je le lireA�? Da��aprA?s moi la buvette est icia�� Donc la travA�e B1 devrait se trouver A� la��intersection de la B0 et de la B2a�� A� moins qua��il ne faille emprunter B3 pour rejoindre B1.

A�a fait bientA?t deux heures que je tourne en rond. La chaleur sous la grande verriA?re est A�touffante, le bruit assourdissant et les Parisiens toujours aussi peu empressA�s A� A?tre aimables et A� vous aider A� trouver votre chemin. Ca��est tant pis pour moia�� Je na��ai que la monnaie de ma piA?ce. Quand ils viennent avec leur MercA�dA?s ou leur Audi A� la��universitA� da��A�tA� de Laurent Wauquiez sur le MA�zenc, je les dirige toujours vers le Gerbier aux sources de la Loire. Histoire de rigoler un peua�� Et de leur rafraichir les idA�es.

Alors que je dA�ambule le long de la��ancien bassin domestiquA�, je tombe en arrA?t devant une vieille amie qui a sorti pour la circonstance son manteau de fourrure et son lA�vrier. Je la��invite A� prendre un thA� et une viennoiserie chez Paul. Le responsable de la communication, un ex-directeur de la��Almanach Vermot, a brocardA� sur la vitrineA�: A�A�Chez Paul, toutes nos prA�parations sont A� la farine da��A�peautre A� (la�?A�peautre PaulA�!)
a�� Josiane, toujours professeur de danse A� Joinville-le-PontA�?
a�� Et toi, toujours chez tes bouseuxA�?
a�� Tu te calmes ou je me tire.
a�� Si ta��avais voulua�� mais trop puritain, trop coincA�A�!
a�� Ta��as rencontrA� quelqua��unA�?
a�� Jules de Casteltignasse, directeur de collection chez Gallimard.
a�� Ce qui explique le manteau de fourrure et le lA�vriera��
a�� Je ne pouvais pas passer ma vie en juste-au-corps.
a�� Si A�a te plait les mondanitA�sA�!
a�� Pourquoi ta��es descendu de tes montagnesA�?
a�� Je cherche, A� dA�faut de la��intA�gralitA� des A�uvres originales, la premiA?re traduction par Vialatte du ChA?teau et de la MA�tamorphose de Kafka.
a�� Alexandre Vialatte, le chroniqueur insolite du journal La MontagneA�?
a�� La��ami de Henri PourratA�!

Josiane tapote sur son Smartphone. A�A�Jules, tu sais qui vend encore du Vialatte aujourda��huiA�?A�A� A�A�Vialatte, je ne vois pas trop qui ca��esta��A�A� A�A�Le traducteur de Kafka, le chroniqueur dA�jantA�A�!A�A�

Jules se tourne vers la��un de ses collaborateursA�: A�A�Vialatte A�a vous dit quelque choseA�?A�A� A�A�Julesa�� Enfin, monsieur le directeur, comme vous le savez, il y a deux sortes de lecteurs de VialatteA�: ceux qui la��adorent et ceux qui ne le connaissent pas encore.A�A�
A� Je me souviens de cette formule dA�licieuseA�A�, renchA�rit une attachA�e avec un fort accent anglaisA�: A� Au contraire de la��huitre et de la moule, le cheval ne se mange que mort. Avant de le hacher on le dA�ferre. AprA?s quoi, on fait du saucisson pur porc.A�A�
Jules blA?mit et fusille de rage ses deux collaborateurs.
A� Josiane, tu ma��entendsA�?A�A� A�A�OuiA�!A�A� A� Vialatte est une sorte da��hurluberlu qui A�crit beaucoup de conneriesA�A� A�A�Tu sais au moins oA? la��on peut trouver ses bouquins dans le salonA�?A�A� A�A�Vous avez une idA�eA�?A�A�, questionne Jules A� la cantonade. A�A�Du cA?tA� des frA?res LosserandA�! A� A�A�Ta��as entenduA�?A�A� A�A�Oui, merci, A� plusa��A�A�

Josiane me prend par la main en se serrant trA?s fort contre moi. On dA�ambule, comme deux amoureux transis, dans les allA�es du vaste temple des antiquaires, des libraires de livres anciens, des philatA�listes et des marchands de tableaux.
Gustave Losserand de ChambA�ry sa��est reconverti dans la Comtesse de SA�gur et la collection Arlequin (A�a se vend bienA�!)

Gaston Losserand de Bourg da��Oisans dans les livres sous le manteau pour alpinistes et montagnards souffrant de solitudeA�avec des titres A�vocateurs comme Comment escalader le monde VA�nus, La��ascension du bA?ton de Bergera��

GA�rard Losserand de Villars da��ArA?neA�: le stand est videA�; pas un livre. Un simple A�criteau avec la version en franA�ais et en allemand du poA?me de Grillparzer La��orpheline du Pont des Arts. Et en dessous, une courte missiveA�: A�A�dA�solA�, chers(es) amis(es) lecteurs(trices), je suis A� la��enterrement des ses parents.A�A�