Se meubler de livres

A� partir da��ici la��histoire se complique, on pourrait mA?me dire qua��elle commence, mal ; ja��avais vendu le dernier des livres rares lA�guA�s par mon oncle Xavier. La��antiquaire bibliophile qui me faisait vivre depuis toutes ces annA�es ma��avait fait comprendre qua��il ne me donnerait pas un radis (ce fut son expression) pour le reste de la bibliothA?que immense dont ja��avais hA�ritA�ea��des livres de poche, des ouvrages de sA�rie noire, ou sA�rie rose, des bluettes rA�centes, des bouquins sans aucune valeur marchande, ni littA�raire da��ailleurs, mais encore par milliers dans cet appartement lA�guA� lui aussi. Je ne songeais pas mA?me A� les lire. Que faire alors ? Me chauffer avec. Le papier brA�le mal, et ma chaudiA?re A� gaz ne me permettait pas cette fantaisie. En attendant, il fallait trouver de quoi le payer, ce gaz. Et la nourriture, les impA?ts, et tout le reste ?…

Avec cette foule de livres dont je disposais encore, je dA�cidai de me construire un lieu de vie, et du moins de rentabiliser leur possession insolvable. Je vendis tous mes meubles et je construisis au centre de la��appartement une sorte da��Igloo fait de bloc da��ouvrages empilA�s, destinA� A� ma��isoler du froid durant la��hiver, de la chaleur durant la��A�tA�a��En rA�duisant toutes mes dA�penses au minimum, en vivant da��eau et de pain, avec un peu de confiture ou de fromage bon marchA�, je pourrais survivre un bon moment, je ne voyais pas au-delA�. Ja��avais peu de besoin, et ja��aimais ne rien faire.

Une fois ma construction achevA�e, je pris mes quartiers, et passais dorA�navant une grande partie de mon temps dans mes livres, littA�ralement. Ja��entrais par une sorte de tunnel et me glissait sur une couche de revues souples qui me constituait une sorte de grand lit sous des baldaquins de couvertures, entourA�s de murailles de pages. Je passais lA� bien du temps A� dormir, et A� rA?ver.

Peu A� peu, je ne distinguai plus bien le rA�el, de mes cauchemars, la rA�alitA� des fictions. Je vivais dans un monde et un temps diffA�rents de ceux des autres hommes. Les lois A�taient diffA�rentes dans cette A�poque incertaine, je ne devais de compte A� personne, et tout A�tait A� disposition. Je sortais de temps en temps, et prenait ce dont ja��avais envie, ja��avais des aventures ici et lA� avec quelques femmes, et je voyageai au grA� de mes fantaisies. La Nouvelle GuinA�e par exemple me plut beaucoup et je trouvais la coutume du nez percA� pour y adjoindre un os dA�coratif particuliA?rement seyante. Le cannibalisme me convenant moins surtout A� mes dA�pens, je fis quelques sA�jours au dA�sert, lA� du moins la tranquillitA� du voyageur est le plus souvent garantie, mais la��on y rencontre nA�anmoins quelques chameaux pas toujours agrA�ables, et la��on y a presque toujours soif. Les pA?les me plurent da��avantages, avec ces charmantes otaries et les manchots empereurs tellement drA?les dans leurs jeux de glisse. Les danses tahitiennes et les nuits auprA?s des vahinA�s ma��enchantA?rent A�galementa�� Le charme des danseuses orientales, des chanteuses de fado, la��amitiA� des marins, des alpinistes, des aviateurs, et mA?me des cosmonautesa�� Ah comme tout cela A�tait bon. Finalement ma vie A�tait trA?s agrA�able. Mais un jour stupeur et effroi, la terre trembla autour de moi, les murailles de papier sa��A�croulA?rent et ma��ensevelirent… Ja��avais reA�u un choc et je ne savais la��encaisser.

A�tais-je mort ? Peut-A?tre pas.
A�veillA� seulement et ca��A�tait pire.