S’A�vader

Marcel caresse la terre, la soupA?se et la dA�mA?le. Avec sa pelle tout juste forgA�e, il la retourne vigoureusement.
– Cette terre – lA�, elle est bonne, tu vois, je crois qua��on a bien fait de sa��arrA?ter dans ce putain de bled !
Le carrA� de terre est modeste, plein sud. Les salades ont bien donnA�, les tomates dA�marrent, seules les pommes de terre peinent A� relever la tA?te.
Il sa��en faudrait de peu pour que Marcel soit heureux, surtout que a�?dans la lumiA?re du soir, la��espace est libre pour crA�er.
– Je viens de chouraver quelques touffes de soucis devant la boulangerie, dit Jean A� la cantonade en arrosant abondamment les patates comme sa��il voulait les noyer, et mon vieux disait souvent a�? soucis dans le jardin A�vitent soucis dans la chaumiA?re a�? marmonne -t- il les mains dans la terre.

La boA�te en fer blanc est restA�e posA�e sur un tronc da��arbre couchA� et ils na��en ont plus jamais parlA�. Rien qua��une petite boA�te en fer et pourtant elle attire et repousse. De jour comme de nuit, la belle luit comme une veilleuse de phare. Elle est omniprA�sente dans ce jardin. Serait – elle ensorceleuse ? TrA�sor ou poison ?

Marcel brA�le da��envie de lui faire un sort A� cette tabatiA?re qui les suit du premier jour de leur A�vasion. La soupeser, la secouer, la��ouvrira�� puis palper, caresser ces graines volA�es. Mais ca��est A� Jean de le faire, ca��A�tait son idA�e A� lui de cultiver ces graines de pavot transgA�nique ! Mais Jean depuis qua��il est lA�, y voit rien, y sent rien, y comprend rien, bon A� rien, sauf A� ramener des soucis, mA?me dans le jardin.

Lui, Jean, quand il se pose sur le tronc de la��arbre fA�tiche, A�a le dA�mange, A�a le titille, A�a la��exaspA?re. Est – ce que A�a ne le rendrait pas encore un peu plus fou da��y toucher A� ces maudites graines ? Il avait pensA� qua��elles seraient leur salut. Les sauver de quoi ? de qui ? DA�sormais leur rA�demption, ca��est ce putain de jardin, leur lupanar ca��est ca��te caborne en pierre, leurs alliA�s le soleil et la pluie sans oublier la lune qui leur embellit les nuits sans repos.

Jean et Marcel se sentent surveiller par les gens du village. Par les enfants par exemple quand ils passent A� pied pour aller A� la��A�cole. Par les parents aussi quand ils prennent le car pour aller au marchA� le mercredi. Et surtout par le paysan da��A� cA?tA� quand il emmA?ne les bA?tes au prA�. Ne parlons pas des marcheurs qui en perdent leurs lacets ! Tous pire que des radars, cela ne peut que leur rappeler la ronde des surveillants A� la prison !

Ca��est seulement A� la��abri, dans la cabane, qua��ils se sentent un peu protA�gA�s, mA?me si la porte ne ferme plus complA?tement. Ils ont de la��eau, un couteau, un vieux banc A� latte – ils y dorment chacun leur tour – un rA�chaud de fortune, des allumettes, deux couvertures de cheval rA�cupA�rA�es une nuit au manA?ge voisin, et la Bible, chapardA�e au presbytA?re en mA?me temps que les saintes bougies.

Au fond du jardin, Marcel sa��est mis en tA?te de construire une arche en bois et il ferraille pour dA�marrer la serre. Une serre aux herbes sauvages ? Tout A� coup un cri : il vient de sa��entailler le pouce, une entaille bien profonde ! Le sang jaillit, sa��A�coule dans la terre et sa��A�vanouit en mA?me temps que lui :A� a�? Ce qua��il croit savoir de moi ne lui apprendra riena�? sont ses derniers mots, avant de se fendre le crA?ne sur le tronc de la��arbre tabou.

Jean na��entend rien et ne se doute de rien. Il a ouvert la Bible A� la page de l’exode et sa��est lancA� dans la lecture de cet odyssA�e, il en est mA�dusA�. Les saintes A�critures la��emmA?nent dans un voyage sans limites oA? il sa��engouffre, sans soucis.

Octobre 2015