Je n’ai jamais su si je devais aimer le vin, me laisser dominer par lui ou le fuir comme un ennemi.
Mon grand-père maternel était représentant en vins et spiritueux. Mon oncle par alliance et son frère usinaient tous les robinets et la fonte pour les cuves à vin. Ma grand-mère maternelle tenait un commerce d’ustensiles de cuisine et de services de tables. Elle louait de la vaisselle aux vendangeuses pour les repas des vignerons et les fêtes de vendanges.
Des ripailles, des cochonnailles, puis de la vomissure sur le pavé de la cour des bâtisses en pisé. Des bacchanales pendant lesquelles un grand flandrin, complètement nu dans un tonneau de raisin, hurlait à tue-tête : il y a des globules rouges, il y a des globules blancs, peut-être qu’il y a des globules rosés.
Je n’ai jamais su si je devais m’enivrer du breuvage divin ou le prendre pour le vitriole du diable.
Mon grand-père paternel était médecin du chemin de fer. Il amputait les cheminots imprudents ou ceux que les cadences infernales rendaient ivres ou fous. Ou ceux qui se laissaient broyer le bras sous un train ou dans une meule pour ne pas retourner sur le front dans les Ardennes. Un médecin de ville, officier dans les tranchées de 14-18, pouvait à cette époque pratiquer la chirurgie d’urgence.
Ma grand-mère paternelle d’origine suisse communiait sous les deux espèces le dimanche au temple de Villefranche.
Je n’ai jamais su si je devais boire du vin et des liqueurs ou nourrir à leur endroit une véritable horreur.
Dans ce pays de vignobles, où les gens sont chaleureux et bons vivants, dont le sang rouge irrigue les veines de la Ville de Lyon comme la Saône ou le Rhône, la cirrhose et le délirium tremens occupaient mon grand-père paternel à plein temps.
L’un de mes grands-pères était plutôt de gauche (un Rouge), l’autre de droite (un Blanc). Je sais que pendant la Résistance, ils s’accordèrent pour lutter contre la peste brune. Ils auraient pu dire non sans humour qu’à la’assemblée européenne quand les Verts voient rouges ils votent Blanc.