Nouvelles de FranA�oise

DANS LA CHAMBRE Da��AMIS

ProtA�gA� par un verre et collA� sur un papier canson rouge, A� peine visible, bordant deux cA?tA�s, le tableau A�tait accrochA� dans la chambre da��amis, juste au-dessus de la commode aux trois tiroirs, en pin massif. Tache de couleur salvatrice dans un univers austA?re et un peu monacal. Mais dessin intriguanta�� Il portait un titre inscrit par une main da��enfant :
A� DE La��EAU NAAZT La��ARBRE A�.

Ja��avais beau la regarder de prA?s ou A� une certaine distance, A� peine A�clairA�e ou en pleine lumiA?re, je ne distinguais ni eau ni arbre et cependant cette peinture me retenait par ses couleurs da��abord et, plus encore, parce qua��elle recelait un secret que ja��A�tais bien incapable de dA�chiffrer. A force de demeurer en sa compagnie, je compris que nous avions partie liA�e.
Je na��osais rien demander. Ja��avais surpris, un soir, une conversation entre deux hommes de la famille :
A� Ca��est moi qui devait la��avoir, avait dit Xavier, ton pA?re me la��avait promise.
_ Il na��a rien A�crit. Elle est ici et elle y restera. Ca��est moi qui la��ai trouvA�e au milieu des cendres aprA?s la��incendie ! A� avait contestA� Romain.

Un vrai miracle que personne ne sa��A�tait jamais expliquA�. Pas da��auteur, seulement un titre et si peu parlant ! Hormis cette discorde entre deux cousins, je na��en savais pas davantage. Les heures passA�es A� la contempler me firent discerner bientA?t, vue de dos, la tA?te da��une femme, coupA�e aux deux- tiers, soutenue par une nuque ferme sur des A�paules rondes : hA�misphA?re droit, boA�te pleine, vision externe. HA�misphA?re gauche, absence da��enveloppe, vision interne. Entre ces deux hA�misphA?res, une section sombre, rigide, descend le long des cervicales. EXTRAPOLATION . La tA?te avait-elle explosA� da��un cA?tA� ? Etait-ce la foudre qui la��avait sectionnA�e ? Une balle perdue dans la folie meurtriA?re qua��avaient traversA�e nos aA�nA�s lors de la derniA?re guerre ?

Je la porte maintenant en moi cette image. Elle ma��habite, ne me quitte plus. Il na��est pas nA�cessaire que je dorme dans la chambre da��amis. Elle est lA� avec sa demi-sphA?re rouge cerise et sa structure tubulaire colorA�e : bleu des rA?ves A� rA�aliser, rose- tendresse, rouge- colA?re, vert- peur, orange – tourbillon des idA�es, jaune- lumiA?re du cA�ur. Tu divaguesa��Tu divaguesa��Tu ne sais rien. . Il y a trop longtemps que tu ne la��as pas regardA�e. Cette fois, il faut interroger, il faut chercher, trouvera��.

Etrange !…un papier qui rA�siste aux flammes et que la��on dA�couvre dans les cendres. La peinture na��avait pas A�chappA� au terrible incendie qui avait ravagA� le cA�ur de la ville. La maison oA? on la��avait trouvA�e A�tait excentrA�e. Alors, de quel autre feu A�tait-elle rescapA�e ? Et pourquoi sa��A�tait-elle logA�e en moi avec une telle force ?

La tA?te avait roulA�, roulA�, roulA�, dA�tachA�e du corps sous la��effet da��une effroyable dA�flagration. Elle A�tait restA�e sur la chaussA�e, au milieu du dA�sastre. Un soldat en armes, da��un coup de bottes avait shootA� dedans avec cynisme, la faisant rouler, rouler encore et basculer par le soupirail ouvert da��une cave, au fond de laquelle elle A�tait restA�e perdue dans les gravats et pour longtemps emmurA�e lA�. Cette femme, sans corps, qui A�tait-elle ? TA�moin muet da��une guerre insensA�e. Epouse, jeune mA?re ? Jeune, oui. Qui saura son nom ? Disparue, disparue A� jamais : une tA?te sans corps, un corps sans tA?te.

La cave qui lui avait servi de sA�pulture, ca��A�tait celle oA? le pA?re enfermait la petite fille pour neutraliser ses colA?res. Le soupirail, la��odeur da��humiditA� qui suinte des murs, les boulets de charbon entassA�s dans la partie la plus obscure et la peur, la peur qui noue la gorge faisant refluer les sanglots et la rage. Quand il la libA?re, elle a capitulA�. Elle est dA�vitalisA�e, presque chosifiA�e.

La peinture est bien lA�, prA�sente en moi, A�nigme A� interroger.

A droite, le rouge de la��embrasement, les flammes de la fournaise dans laquelle se tordent les piA?ces da��un kalA�idoscope qui na��a pas eu le temps de sa��organiser et qua��un carrA�-CENSEUR noir a figA� dans leur forme. Ca��est comme une danse arrA?tA�e qui attend quelque musique pour se remettre en mouvement, faire apparaA�tre et disparaA�tre des compositions nouvelles oA? chaque piA?ce retrouve sa couleur sonore.

Le rouge tellement dA�sirA� et toujours refusA� est devenu le rouge de la colA?re qui aveugle et dA�truit.

A gauche, toutes les couleurs sont bien rangA�es, bien dA�limitA�es mais tout est rigide, vissA�, sec.
Une frontiA?re A�paisse sa��est dressA�e empA?chant toute communication entre ces deux territoires. Mur de Berlin infranchissable mais qui pourrait bien quelque jour chuter.