Sur le chemin, une coquille

A la tombA�e du jour, il est apparu en haut du village. Une gamelle en fer blanc A� la main, un sac A� plusieurs A�tages sur le dos, une casquette rose sur la tA?te da��oA? dA�passent quelques boucles blond dorA� : ca��est AlA?ocha, aux pommettes tannA�es par le soleil et le vent. Il vient du Nord. Il a dA�jA� parcouru 600 kilomA?tres A� pied. Ses chaussures de marche sont en piteux A�tat. Son paquetage marque les intempA�ries. Son parfum incarne les fruits et feuilles da��automne. Il est au 45 A?me jour de son chemin de Compostelle.

Le vent souffle fort. La��A�glise romane de Montarcher sa��A�lA?ve A� 1300 m environ. Il hA�site mais se dA�cide A� grimper jusqua��au parvis, face au vent sauvage. Le sol en granit a emmagasinA� froid et pluie des derniers jours. Il frissonne. Signe de bon augure, une vierge sculptA�e A� la pointe de la��ogive lui sourit. Un espace saint, pensa-t-il, susceptible da��accueillir sa natte dA�jA� bien mordillA�e par les souris des champs, compagnes des nuits de bivouac. Il mesure avec humilitA� devant lui ce paysage imprenable : les monts da��ArdA?che tout devant, les volcans da��Auvergne derriA?re lui. Grandiose ! Serait-il si prA?s du Puy-en-Velay, A�tape notoire oA? les diffA�rents chemins de Compostelle se rejoignent, se mA?lent, se rencontrenta��

La solitude lui pA?se. Il la��a pourtant souhaitA�e au dA�part. Avoir choisi Compostelle signifiait bien se confronter A� lui-mA?me. Certaines relations la��avaient entraA�nA� pourtant loin, mais si loin de lui, sur des chemins enchanteurs certes ! Se dA�tourner de ces voies paradisiaques aussi A�phA�mA?res qua��abyssales, comment A�tait-ce possible ? La dA�pendance le ligotait telle une pieuvre quasi meurtriA?re. Se dA�tacher, sa��A�loigner pas A� pas : bien plus qua��une trA?ve, une impA�rative nA�cessitA� da��armistice avec soi-mA?me. Il lui a fallu six mois pour rompre.

Il a dit oui A� la��invitation, presque sans hA�siter. Coup de fatigue, coup de froid ou coup de cA�ur envers ces hA?tes de passage ? En route, confortablement assis A� cA?tA� du chauffeur – sa femme ayant A�tA� remisA�e allA?grement dans le coffre de leur Mercedes – AlA?ocha se met A� se raconter, avec des mots hachA�s entrecoupA�s de soupirs. Que de questions soudainement ! Il retrouve avec difficultA� le vocabulaire adA�quat da��une langue franA�aise qua��il dA�couvrit sur les bancs du collA?ge. Il na��aime pas la��A�cole. Cinq paires da��oreilles attentives et curieuses, public inespA�rA� pour ce jeune marcheur devenu solitaire, A� la��image de Gaspard des Montagnes, pA?lerin da��un autre siA?cle, devenu

mythique en son temps en traversant A�galement les sombres forA?ts du Livradois. Dans la douce chaleur de la��habitacle, AlA?ocha, chevalier sans peur, insensiblement se dA�tend, sourit et finit par sa��assoupir, da��un A�il. Un silence bienheureux sa��installe. Une pause bienveillante. Chacun mesure la portA�e de cette rencontre inattendue. Les souvenirs de la charmante randonnA�e da��aprA?s-midi entre La Chaulme et Montarcher inspirent rA?veries et murmures intA�rieurs. Le bonheur est dans le prA� ?

Comme ca��est.. comment dirait-ona�� ah oui , comme ca��est rustikk, ici !

Sous les yeux malicieux de la��invitA� surprise, la petite maison dans la prairie se rA�vA�la : le lustre antique et solennel ainsi que la��abat-jour rouges sa��illuminA?rent ensemble, les braises endormies sa��A�veillA?rent joyeusement dans le poA?le A� bois, le vin rosA� pamplemousse coula A� flots dans des verres A� pied vintage tout droit sortis du buffet en bois sculptA�, le fauteuil Voltaire refait A� neuf roula sous le poids du pA?lerin et de son sac improbable, un tA�lA�phone portable vibra en mA?me temps que le carillon gothique A�grenait une huitaine de coups : une indA�finissable soirA�e sa��annonA�ait…une soirA�e inoubliable !

Autour de la table bien garnie, les joues de chaque convive se rosirent belles et bien, tel le saucisson chaud lyonnais fumant invitA� lui aussi. AprA?s une pA�riode de disette, AlA?ocha montra un appA�tit de loup, ca��A�tait attendu ! Les conversations, quasi bilingues, s’animA?rent naturellement, mais oui ! Le fromage de chA?vre, sorti favori, enflamma toutes les papilles, de mA?me que le vin rouge sa��avA�ra A?tre un parfait alliA� des contes da��Henri Pourrat, tous hantA�s de brigands et de loups garous, dont les rA�cits lA�gendaires accompagnA?rent ce repas pantagruA�lique. Et la Verveine fit son entrA�ea�� sous les applaudissements : tous derriA?re et lui, devant comme le petit cheval blanc de George Brassens, les copains da��abord !

AlA?ocha dA�posa dA�licatement ses chaussettes rose auprA?s du feu, salua la��assemblA�e sans crier gare et se faufila sous une douche rA�demptrice avant de sa��endormir sous la��A�dredon de satin dorA� gonflA� de plumes, la coquille gaillardement ficelA�e A� son ceinturon, sans demander son reste, il en avait dA�jA� eu beaucoup ! Autant que dans ses rA?ves de Compostelle ?

Ce fut une nuit parmi les mille et une nuits de voyage en terre inconnue da��un petit Alexandre, dit AlA?ocha, A?gA� alors de 27 ans.

Au lieu-dit Raffiny, le 11 septembre 2015

en prA�sence de Marie-Antoinette, surnommA�e Minette, reine de ces lieux et JosA�e, sa sA�urette, auvergnates de naissance, A�liane et Jean-Pierre, amis venus de Roanne (en Mercedes !) et Claire, amie da��enfance lyonnaise aux ancA?tres auvergnats, A�crivaine en herbe, auteure de ce rA�cit romanesque, inspirA� da��A�vA?nements partagA�s.