Sylvain parle, applique la gouache verte sur le cahier. Sa parole nous envoA�te ; habilement, il fait glisser la��eau du verre sur le papier A� dessin : il nous invite A� observer et A� laisser vagabonder nos idA�es. Ses gestes sont prA�cis. La gouache se dilue. Des lambeaux de couleur verte sa��A�coulent. Il parle toujours. On assiste A� des transformations, des mA�langes, A� la crA�ation de formes.
AoA�t 1945. Parcieux
Je pense A� Charlotte, ma mA?re, A� ses aquarelles et aussi aux prises de vue de mon pA?rea�� Ca��A�tait la LibA�ration. Les bords de SaA?ne exultaient ! On se baignait, on pique niquait. Et sur le soir, Charlotte a dit A� Paul : A� EmmA?ne-moi sur la��A�le, je voudrais peindre A�.
La��angoisse de la��Occupation sa��estompait. La vie redevenait fluide. On dA�couvrait la��horreur de la��idA�ologie nazie, sa rigiditA�, sa cruautA�.
Peindre, rA?ver, imaginer un monde aux formes rondes loin de la de la brutalitA� des dA�filA�s militaires
. A qui appartient-elle ?
Paul et Charlotte arrivent en barque A� cette petite plage abritA�e. Une autre embarcation semble les attendre
Charlotte sort sa mallette de peinture. Paul cherche des trA?fles A� quatre feuilles. Elle observe, sa��imprA?gne de la��instant. Elle regarde, A�coute, respire.
Barques au bord de la SaA?ne. Chaleur et moiteur. Odeur de vase. Les aulnes frA�missent et la riviA?re hA�site : couler en amont ou en aval ? Le semblant de plage est sans cesse transformA�e par la montA�e ou la descente de la��eau. Les deux barques cA?te A� cA?te, ventrues, alanguies, comme deux corps assouvis. DA�chiffrer la surface de la��eau. Le reflet du nuage blanc et ventru sa��oppose au vert puissant des feuillages denses. Sous les barques, la��eau boueuse de la SaA?ne, sa��est A�purA�e et la��ocre du sable cA?toie le bleu foncA� de la��ombre des arbres, le blanc nacrA� du nuage. La��argent des feuilles de saule frA�mit, scintille, entoure les deux barques, comme intruses dans ce tableau naturel. Leurs couleurs bleutA�es, verdA?tres, boueuses sont semblables A� celles de la��eau, du ciel, des arbres. On dirait qua��elles veulent se faire accepter, se fondre dans les A�lA�ments naturels. Et maman trempe son pinceau dans la��eau, prA�pare son premier geste.
Septembre 1944. Pont de Trevoux.
VoilA� ce qua��aurait pu A�crire mon pA?re Paul Epelly, sa��il avait tenu un journal intime.
– Ils vont arriver ! Les rA�sistants reviennent avec des prisonniers allemands ! dit la foule qui ma��entoure.
Je sors ma camA�ra.
– Mettez-vous lA�, Monsieur Epelly ! Vous serez bien placA� pour filmer.
Nous sommes debout sur le quai et je rA�flA�chis A� ma prise de vue. Le pont de TrA�voux A�croulA� sous les bombardements me fera un tragique arriA?re plan. Les deux barques vont arriver de la rive droite et la��accostage aura lieu devant moi. La SaA?ne roule ses eaux boueuses. Au pied des piles du pont, le courant est fort et les tourbillons nous inquiA?tent. Vont-ils pouvoir les franchir ?
Ca��est une aprA?s midi un peu sombre et la��heure est solennelle. Autour de moi la population a la gorge serrA�e. Ca��est la fin de la guerre et ces prisonniers allemands, ca��est notre revanche.
– Ca y est ! Ils arrivent ! Filmez Monsieur Epelly !
La scA?ne est fantastique : les deux barques effilA�es traversent la SaA?ne la��une derriA?re la��autre. A leur bord, des hommes en armes, debout, encadrent les vaincus.
Je filme, concentrA�. Je suis assez bien placA� pour faire un plan fixe. Les embarcations se dirigent sur moi. Je sais que le moment est historique. Je pense A� mes parents, A� mes enfants. Je suis le seul de toute la rA�gion A� possA�der une camA�ra. Pas le moment de trembler ! Un jour, mes descendants honoreront cet instant.
– Ils dA�barquent !
Un silence de plomb accueille leur arrivA�e. Notre haine se tait et je sais que, ces prisonniers, eux aussi sont des victimes.
Ja��ai les images dans ma boA�te.