Aspirine dans un verre d’eau
AgrippA� A� ma camA�ra, assis sur le bord du verre, je suis prA?t A� plonger. Deux A�normes doigts surgissent derriA?re moi et sa��approchentA� prA�cautionneusement de la��eau. Ils tiennent une large soucoupe blanche et poreuse. Je zoomeA�: des grains apparaissent sur la surface du solide.
La soucoupe est lA?chA�e dans la��eau. AussitA?t, je plonge A� ses cA?tA�s et suis prise dans un tourbillon effervescent que je filme comme je peux. Une odeur acide me fait suffoquer. Les bulles A�clatent sur ma peau, se rA�percutent sur la paroi du verre. Surtout, continuer A� filmerA�! Le spectacle est fascinant et la��A�closion des bulles interminable. JeA� filme leur geyser argentA�. Le cachet se pose enfin au fond du verre et ja��ai la��impression qua��il ma��appelle. Ensemble nous entamons une sorte de danse A� deux pas. Filmer devient trA?s difficile car je me sens envahi da��une fiA?vre hypnotique. Je rA�siste au dA�sir de partager sa valse et me concentre sur le tournageA� en pensant A� ma prochaine expo. Je tiens un scoopA�! Je tiens un scoopA�!
Puis ma partenaire se transforme peu A� peu. Elle perd de sa rondeur, se creuseA� et bientA?t devient un croissant de lune. Et moi,A� pauvre Pierrot, je sens que la fin du rA?ve approche : les bulles diminuent en taille et en vitalitA�. TrA?s lentement la��aspirine, ou plutA?t son ombre , remonteA� A� la surface. Je filme cette ascension, A� contre jour, avec nostalgie. Puis, tout se calmea�� Seuls vestiges de ce happening insensA�, des petits points blancs qui flottent dans la��eau et qui sa��accrochent dA�sespA�rA�ment A� la paroi du verre.
De rares bulles encore actives A�clatent mollementA�: ca��est la fin de laA� danse.
HA�bA�tA�, saoul,A� trempA�, je remonte A� la surface serrant contre moi, comme un trA�sor, ma camA�ra humide.
Triptyque : eaux rares, abondantes
1983. Paris
Un jour, au palais de la DA�couverte, ja��ai assistA� A� une expA�rience de Physique avec mes A�lA?ves de sixiA?me. Dans un laboratoire ancien et majestueux, deux professeurs ont manipulA� des instruments scientifiquesA�mystA�rieux : cornues, pipettes, bec bunsen. Ils nous ont expliquA� qua��ils allaient rA�aliser la rA�union de deux atomes da��hydrogA?ne et da��un atome da��oxygA?ne. Je me souviens de la formation da��une grosse bulle da��air, da��une dA�tonation et de la naissance da��une goutte da��eau. Et nous avons eu la sensation da��assister A� la crA�ation du monde.
1973. Sahara. Hassi Messaoud- Djanet.
La��eau A�tait comptA�e. Trois jours de piste en autonomie complA?te. Les vA�hicules traversaient les ergs, les regs, les hamadas : espace minA�ral A� la��infini, sable, roches, roses des sables, cailloux noirs et tranchants.Quelques rares arbres A�pineux A� la��ombre lA�gA?re, quelques fleurs A�clatantes au ras du sol, vA�gA�tation inconnue et rA�sistante qui puisait au cA�ur du sol la��eau de pluie tombA�e deux ou trois ans auparavant.Dormir sous les A�toiles. Splendeur du ciel A�toilA� qui A�crase de son scintillement. La��envie folle de me purifier, da��A?ter la poussiA?re de ma peau. Un demi- litre de la��eau si prA�cieuse prA�levA�e sur nos rA�serves me lava et me tonifia.
1993. IndonA�sie .
La��eau abondante, les trombes de pluies chaudes, renouvelA�es jour aprA?s jour. La touffeur tropicale. Bambous, cocotiers, frangipaniers, banians jaillissent et sa��A�lA?vent chaque jour. Le soleil, la��eau, la terre volcanique sa��unissent, mA?lent leurs A�nergies, crA�ent en profusion, sans interruption ces arbres dA�mesurA�es, chargA�s en chlorophylle. Pas de rA�pit, pas de morte saison. La vie vA�gA�tale, encore et encore jusqua��A� saturation.