Sur le chemin de Mézilhac montait péniblement un petit âne sur lequel montait de temps en temps la mère tenant enveloppé un beau petit enfant tandis que le père dirigeait l’âne par la bride..
La chaleur faisait ressortir les verts du paysage ,du jaune doré au bleu des conifères. Une paix accompagnait la famille en résonance avec la plénitude de la nature aride et généreuse à la fois. Leurs visages ne trahissaient aucune émotion, hâlés, burinés par les vents. A les voir avancer ainsi, on aurait pu croire qu’ils s’en allaient pour quelque promenade. L’enfant ouvrait ses yeux de miel sur le ciel d’un bleu dilué, confiant et rassuré.
Il faut de l’eau pour l’âne dit le père à la recherche de quelque coin d’ombre.
Un peu plus haut, sur la droite, coule un ruisseau et les voilà qui bifurquent vers le chemin ombragé où ils pourront se reposer un moment tous les trois et reposer leur monture. Il est midi. Marthe prépare le repas. Par ces chaleurs, quelques fruits frais seraient bienvenus et ne pas oublier l’eau de source pour les voyageurs .Ils ne devraient pas tarder à arriver. Son visage est tendu, elle sait que les routes ne sont pas sûres. On parle ces temps-ci au village d’un monstre, mais comment croire à ces fadaises ?
Un monstre dans la vallée, sorti tout droit de la lauzière , chose informe et sombre qui détruirait tout sur son passage. Sorti de la lauzière ou des contes qui se disaient à la veillée, comment savoir, comment résister à la peur? comment se protéger ? comment combattre ?
Marthe s’assoie auprès de la petite fenêtre et concentre toutes ses forces sur sa fille qui doit venir passer quelques temps chez elle avec l’enfant. Préparer le petit lit et les protéger le temps de la menace, c’est bien ce qu’elle a compris quand son gendre est venu la voir l’autre soir pour lui demander de l’aide.
Mettre en sécurité la mère et l’enfant afin que lui puisse rejoindre les hommes de Mézilhac qui commencent à organiser une véritable lutte armée contre le monstre. La rumeur avait fait courir le bruit, de maison en maison, elle circulait, s’amplifiait et commençait à transporter avec elle un vent de panique. Il fallait lutter et mettre en commun tous les moyens dont disposait le village, s’organiser, se mobiliser et mettre à l’abri femmes et enfants.
La menace grondait, se rapprochait. Des forêts dévastées, des troupeaux piétinés et quelques maisons détruites. Certains affirmaient même avoir vu une chose énorme traverser le ciel.
D’où venait la menace ? Du fond des lauzes ou de derrière les montagnes aux courbes pourtant si harmonieuses ?
Quand enfin l’âne arriva devant la maison de Marthe, déchargeant la mère et son petit, Marthe tremblante les fit pénétrer dans la fraîcheur des murs de pierre, et alors, elle demanda à l’homme de venir l’aider.
– Va voir chez Georges, dans la maison voisine, ça presse.
Quelques hommes étaient rassemblés, ils racontaient les derniers événements : ceux du village d’en face avaient réussi à encercler le monstre et l’avaient lapidé puis, armés de fusils, ils s’étaient acharnés sur lui et l’avaient achevé.
Ils racontaient encore que pour calmer la soif de son agonie, le dragon ailé avait descendu la vallée de la Loire et de la Veyrdayre et qu’il en avait bu toute l’eau jusque près du lac d’Issarlès où sommeille une ville engloutie.